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Pourquoi l’infinité de la connaissance d’Idriss Aberkane est un mythe













Idriss Aberkane, auteur du best-seller Libérez votre cerveau ! fait la une depuis quelques mois. Pourtant, il ne fait pas l’unanimité. Se posent plusieurs questions : sa légitimité à être un porte-parole de la science, la véracité de son C.V., ainsi que sa véritable contribution à la science. En effet, il n’a produit aucun article. Sa seule contribution est un poster pour une conférence, qui n’a pas été publié dans une revue scientifique avec révision par les pairs. Poster qui a été critiqué ici.
Enfin, vous pourrez trouver une critique de son livre dans ce blog que j’ai découvert ce week-end (grâce justement à l’auteur du podcast en lien ci-dessus).
Dans le présent article, je m’attacherai à tenter une critique de cette infinité de la connaissance et de son statut de panacée pour l’économie (puisqu’elle permettrait une croissance infinie) et pour la paix (puisque son statut infini empêcherait les conflits).
J’ai tenté un premier article (publier le 1 janvier 2017), pas terrible, dont je suis peu fier, que vous trouverez ici sous format pdf. Je tiens à remercier mes principaux contradicteurs sur le groupe facebook : Zététique. Leurs apports ont été très utiles et très constructives. J’avais prévu de corriger mon article en fonction de leurs commentaires, mais voyant le peu de solidité de mon argumentation (et aussi parce que j’ai été assez occupé de janvier à février), j’ai vite perdu courage.
Je propose donc cet article qui, reprenant certains élément de l’ancien et leurs critiques, je l’espère sera un peu plus rigoureux.


Idriss Aberkane à cette proposition très intéressante : la connaissance est une ressource infinie (comme la stupidité humaine, trouve-t-il utile de préciser dans sa publication sur HAL), la croissance peut l’être si elle s’appuie sur une économie de la connaissance. Enfin la connaissance ne pouvant se tarir, faire de la recherche de la connaissance l’objectif des personne ou/et des nations, empêcherait les conflits nationaux.


La connaissance, une ressource infinie :


Avant même de commencer à débattre de cette question il y a une chose qui a été remarquée par Nicolas Gauvrit (podcast en lien dans l’introduction) : Idriss Aberkane ne donne pas de définition de la connaissance. Est-ce la production scientifique ? Culturelle ? Tout type de connaissance confondue ? Personnellement j’étais parti du principe que l’une des limites de la connaissance était justement que celles-ci pouvaient être erronées. Puis on m’a fait remarquer qu’après tout, même une fausse connaissance était une connaissance, et que donc, si on la prenait en compte, ça renforçait plutôt l’argument de l’infinité des connaissances en tant que ressource. Et c’est vrai. Sans définition claire, on peut inclure ce que l’on veut dedans. Donc tentons une définition arbitraire, mais qui facilitera (peut-être) la tâche : La connaissance recouvre ce qui est produit en termes de savoirs, c’est-à-dire de faits, de raisonnements ou de narrations à travers l’activité scientifique, culturelle et artistique ainsi que ses applications technologiques. Cela recouvrerait donc la culture générale, les fictions, les connaissances scientifiques, les idées artistiques, etc… On écarte alors de cette définition les pensées irrationnelles personnelles ou tout du moins n’étant pas inscrites culturellement, les erreurs et les connaissances fausses ainsi finalement que la majorité de ce qui n’est pas publié ou transmis systématiquement entre générations.

Cette définition donnée, j’avais dans le précédent article, soulevé certaines limites qui me paraissaient légitimes. L’une d’elle concernait la limitation des supports de stockages. En effet, la matière n’étant pas infini, on ne pourrait théoriquement garder qu’une quantité de connaissance limitée par la disponibilité des supports servant à la stocker. Mais l’on m’a fait remarquer avec justesse qu’au vue des prouesses technologiques actuelles et futures, nous ne risquions pas de créer de pénuries de support tellement les capacités de stockage devenaient plus performantes.

La perte de données quant à elle, reste un frein à cette infinité en ressource de la connaissance : entre autodafé, aléas, pertes archéologiques, usures, nous perdrons toujours potentiellement de la connaissance. Mais cela ne signifiant pas que l’on ne puisse pas en recréer une infinité, cela n’invalide pas de considérer la connaissance comme une ressource potentiellement infinie.

Une des propriétés qu’Idriss Aberkane mets en avant pour illustrer l’infinité de la connaissance c’est la récursivité de celle-ci. En effet, il cite Soudoplatoff, un entrepreneur ayant travaillé chez IBM en 1984, « Lorsqu’on partage un bien matériel, on le divise ; lorsqu’on partage un bien immatériel, on le multiplie ». Citation qu’il érigera en loi de Soudoplatoff, expliquant que contrairement à l’échange de matériel qui correspond à un jeu à somme nulle, ou l’un gagne et l’autre perd, l’échange de connaissance est à somme positive car personne n’y perd.
Note : en réalité, un jeu à somme positive impliquerait au minimum que la connaissance que je donne ait moins de valeurs pour moi que celle que l’on me donne, et plus de valeurs pour mon interlocuteur que celle qu’il me cède. Si ça va dans un sens unique, c’est juste un don. De même, un échange matériel peut être un jeu à somme positive.

Cette multiplication du bien immatériel qu’est la connaissance, il l’explique selon certaines propriétés. Dont la récursivité de la connaissance. Disons que « je-sais-A », à partir de ce moment j’en prends conscience créant une nouvelle connaissance, « je-sais-que-je-sais-A ». Ce dont je peux prendre conscience donnant encore « je-sais-que-je-sais-que-je-sais-A ». Et ainsi de suite.

Cependant, il me semble que cette récursivité ne peut pas être infinie. La deuxième connaissance (« je-sais-que-je-sais-A ») est le fruit d’un ensemble de processus que l’on nomme métacognition. La métacognition c’est le fait d’être conscient de processus cognitifs et de contenus cognitifs en marche à un moment donné. Ici il s’agit de prendre conscience du contenu de sa mémoire. « je-sais-que-je-sais-A » pourrait se traduire par « je-sais-que-j’ai-en-mémoire-A ». Cela peut-il réellement s’appliquer à l’infini ? Peut-on avoir une métacognition d’une métacognition et ainsi de suite ? Non.

1) Déjà parce que ce processus métacognitif est un inventaire fait à un instant T, il n’est pas destiné à être gardé en tant que connaissance toute sa vie durant.
2) Celle-ci ne se forme pas nécessairement à partir de ladite connaissance : je peux très bien inférer que je sais A si je me rappelle que durant le lycée j’ai eu des cours traitant entre autres de A
3) La méta-connaissance formée est relativement indépendantes de la connaissance dont elle traite : si 20 ans auparavant, j’ai pris des cours de mécaniques, je peux être persuadé de savoir le nom de telle pièce. Alors qu’un traitement plus approfondi (test, relecture de note) révélera que je ne savais plus cela, ou que j’avais interverti son nom avec celle d’une autre pièce.

Ça c’est au niveau individuel, mais au niveau culturel ce phénomène existe plus ou moins. Les sources de secondes mains correspondent à cela : on sait que tel auteur a dit ça, parce que disciple ou un commentateur l’a écrit, alors même que le texte original est introuvable.

La propriété combinatoire (apparemment loi de superlinéarité) de ces connaissances est un autre grand chouchou de l’argumentation d’Aberkane : si je sais A et que je sais B, automatiquement j’obtiens un connaissance C. Sauf que cela fait fi d’un élément important : les connaissances ne se combinent pas n’importe comment. Si A est un théorème en géométrie, et B une épice indispensable à une recette, je vois mal comment obtenir mon C.

Ces quelques éléments débattus, les fait que la connaissance puisse être une ressource infinie ne me parait pas encore invalidé, mais bien mal défendu par Idriss Aberkane. Les propriétés sont abordées plus en détail dans l’article de blog écrit par Nicolas Gauvrit (ainsi que son podcast) cités en introduction, avec en prime un décorticage des formules mathématiques, et d’autres choses que je n’ai pas abordées ici. Allez-voir, c’est génial !


La croissance infinie grâce à une ressource immatérielle : la connaissance :


Dans ladite publication d’Aberkane, il fait remarquer que la croissance infinie est impossible puisqu’elle s’appuie sur des ressources périssables ou tout du moins périssant plus vite qu’on ne les renouvelle. Car même les ressources dites « renouvelable » on un petit coût de production, ou en tout cas un temps avant qu’elles ne soient disponible, ce temps de production étant aussi un frein possible à la croissance, ne la rendant peut-être pas finie, mais tout du moins ralentie (cette dernière partie est une parenthèse de ma part, il ne me semble pas qu’Idriss traite spécialement des énergies renouvelables).

Mais qu’à cela ne tienne : la connaissance étant une ressource infinie, une croissance basée sur elle devrait pouvoir être infinie. Cependant, il me semble que cela ne tient pas compte de certains arguments que l’on pourrait opposer.

La première est que la croissance ne peut s’appuyer que sur le développement de la connaissance. En effet, une société croît aussi matériellement. Laissons de côté l’hyper-consumérisme. Prenons des besoins sociétaux. La construction et la rénovation/amélioration des équipements sanitaires, c’est matériel. Les structures médicales ainsi que les mesures prophylactiques et préventives (ne serait-ce que les vaccins) c’est matériel. La dépollution de ce que l’on a pollué et la mise-en-place de moyen et de structure appuyant la cause environnementale, c’est matériel. Et je ne suis pas persuadé que tout cela puisse être entièrement renouvelable actuellement.

La seconde, c’est que si la ressource produite est infinie, cela n’implique pas que sa production ne fasse pas appel à des ressources finies. La connaissance ne naît pas comme ça de rien. Du moins pas en entier. Des idées peuvent naître uniquement d’un cerveaux (si je voulais être tatillons, je pourrais retenir que tout de même, ça coûte un peu de nutriments et de calories, mais ça tiendrait du troll à ce stade-là) mais la connaissance, tout du moins la connaissance scientifique, à un coût de production. Un coût humain, en termes de personnel, mais aussi de formation. Un coût matériel, les laboratoires, les éléments sur lesquelles les expériences sont menées. Un coût de transmission, car si je multiplie ma connaissance en transmettant ce que j’ai appris en biologie moléculaire (un moi fictif, je suis une brêle en biologie moléculaire), c’est encore mieux si mon élève peut reproduire certaines observations avec du matériel. Et bien sûr, le stockage et l’accès facilité (serveurs internet par exemple). Même si le nombre de ressource pour produire la connaissance est faible par rapport à la masse de connaissance créer (mais en réalité, je n’en sais rien, et je ne sais absolument pas comment on pourrait le vérifier) cela resterait un frein.

Troisièmement, les applications de ces connaissances font appel à des ressources finies. Les nouveaux matériaux, les nouvelles machines, tout ce qui nécessite d’être construit font appels à des ressources finies. De sorte que l’innovation peut mener paradoxalement, au moins par phase, à une accélération de l’utilisation des ressources, ce que la majorité des technologies liées à la production et à l’utilisation de combustibles (mais pas que) ont fait. La révolution industrielle du XIXème siècle, ou l’épuisement prochain du pétrole illustrent ce point. A l’inverse, si une innovation amenait un progrès important sur les énergies renouvelables, par exemple, cela atténuerait l’amenuisement des ressources naturelles.

Quatrièmement, il faut que la recherche de la croissance par la connaissance soit un objectif supplantant les autres. Or, si l’hégémonie scientifique est un but recherché par de nombreux pays, en général, d’autres formes d’hégémonies s’appuyant sur des ressources matérielles restent très importantes. Si cela n’empêche pas de théoriser une croissance infinie par la connaissance, la croissance restera tout même limitée tant que les ressources limitées la fonderont majoritairement.

Mais au final, ça ressemblerait à quoi la croissance appuyée sur cette fameuse ressource infinie qu’est la connaissance ? Je n’en sais trop rien, Idriss Aberkane n’en parlant pas, ni ne la définissant. La croissance économique ? Sur le coût de la connaissance, des brevets ? Mais il a l’air de prôner une gratuité de la connaissance, puisque l’on doit pouvoir la faire multiplier en la partageant. A partir de ces applications ? Mais la création de biens se fera de toute manière à partir de ressources finies, et la logistique (import-export) aussi. Aussi, je ne vois absolument pas à quoi correspondrait concrètement la croissance infinie basées sur cette connaissance, à moins de ce que les innovations technologiques ne réussissent la prouesse d’être entièrement recyclables.

Rajouté le 02/03/18 :

Un autre non-abordé reste le lien entre croissance de la connaissance et croissance économique. L’économie contraint la croissance des connaissance (ne serait-ce qu’en terme de budget alloué aux recherche), mais s’en nourrit fortement aussi : recherche & développement, information sur les marché ou les alliances commerciales. De sorte que la connaissance devient souvent une arme. Certains domaines de connaissances peuvent se périmer (c’est utile de savoir qu’une entreprise concurrente travail sur tel type de produit… tant que le produit n’est pas commercialisé, après il est trop tard pour tenter de les devancer).

Cela nous amène à un autre point : ce capital immatériel à une valeur, qui elle-même peut-être fluctuante. Il est intéressant de noter qu’Aberkane n’a pas tenter une modélisation mathématique intégrant la valeur de la connaissance en fonction de son applicabilité, de sa rareté (notamment lorsqu’il s’agit d’innovation pouvant être commercialisées), des opportunité d’actions qu’elles donnent, de son potentiel de péremption (une connaissance scientifique est plus durable que des renseignements sur des mouvements boursiers, les seconds étant périmé une fois que les mouvements boursiers concernés ont eu lieu).
La marchandisation de ce capital immatériel (brevet, formation…) n’est pas plus abordé. 

De même, Aberkane parle peut de la manière dont les idéologies instrumentalisent les connaissances. De la manière dont une culture rassemble des personnes, mais définie aussi des étrangers, qui ne partagent pas les mêmes références. La manière dont des savoirs servent à distinguer qui mérite notre attention et qui mérite notre mépris. 


La connaissance, notre gardien de la paix ?


C’est l’une des propositions d’Aberkane : la connaissance est une ressource ne permettant pas de conflit puisque savoir quelque chose n’en prive personne. Cependant, Idriss rate quelques points importants.

La recherche de la connaissance est le plus souvent motivée, parfois par la curiosité, mais aussi par le désir de résoudre un problème. Et parfois le problème, c’est l’autre. Les courses à l’armement durant les derniers siècles en sont l’exemple le moins subtil. Mais l’hégémonie scientifique en est un autre exemple parlant. 

De même, si on n’empêche pas quelqu’un de savoir quelque chose en le sachant soi-même, on peut le garder pour soi. Le traitement contre le SIDA serait-il découvert par les USA, cela n’empêcherait pas la Suède de faire de même par la suite. Mais les USA pourront toujours garder ce secret pour eux, laissant la Suède se débrouiller. Pour contrer cela, il resterait l’espionnage, qui lui, est un réel motif de conflit. La recherche privée obéit précisément à ce désir de monopoliser les innovations et applications de connaissances en limitant le partage desdites connaissances afin que les concurrents innovent moins vite.

La connaissance, ou plutôt son économie, c'est-à-dire ce que l’on veut en faire, comment on veut le partager et comment on veut l’appliquer, sont un terreau de possible conflits. Les ressources, finies ou infinies, ne sont pas vecteurs de conflit du fait de leur disponibilité, mais participent aux conflits car souvent, en relation internationale, la fin justifie les moyens. Le problème des conflits est un problème de relations internationales et de diplomatie. La disponibilité et la gestion des ressources peut envenimer la situation ou pousser à la coopération, mais elle ne seront jamais la panacée pour une paix universelle.










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