Le
30 août 2018, Mme Illouz, sociologue a été invitée dans une
émission de France Culture, La Grande Table. En effet, ladite
sociologue à écrit avec Cabanas, chercheur en psychologie un
livre intitulé Happycratie :
Comment l'industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vie.
Je
ne commenterai pas ici le livre en lui-même pour une raison simple
et terre-à-terre : il est récent, donc on ne le trouve pas
d'occasion pour l'instant. Cela signifie que les critiques que
j'évoquerai ici, ne compte que pour l'intervention radiophonique de
Mme Illouz. Le livre est certainement bien plus nuancé que sa prise
de parole sur France Culture, expliquant certains raccourcis.
Cependant, ces raccourcis donnent une vision de la psychologie
positive assez lacunaire.
Aussi
cette réaction consistera à apporter le nuances, les éclairages
qui ne sont pas inclus dans l'émission.
En
résumé, la thèse du livre, et d'Illouz dans cette émission, c'est
que dans notre société actuelle, les recherche sur le bien-être
ont été mis au service de l'idéologie néo-libérale et de ses
plus fervents défenseurs, les états et les entreprises. La
psychologie en générale et la psychologie positive en particulier,
permettrait d'obtenir plus de chacun sans avoir à changer la
structure de la société. Les individus seraient en quête du
bonheur, et de l'autre côté un marché florissant leur offrirait
des solutions à consommer. Les entreprises miseraient elles aussi
sur ces solutions, se donnant des airs de philanthropes, après tout,
ne se préoccupe t-elle pas du bien-être de ses employés, cachant
leur but véritables qui est d'augmenter par là, la productivité de
leurs salariés. Ainsi, tout comme les produit de consommations
physiques,le développement de soi deviendrait un produit de
consommation et un marqueur de réussite.
Je
trouve cette thèse extrêmement pertinente, et cela me donne
d'autant plus envie de lire les ouvrages de Mme Illouz. Cependant, il
me semble qu'il existe quelques raccourcis sur la psychologie
positive. Ainsi, je vais tâché de couvrir plus en détail quatre
problématiques exprimées par Illouz dans cette entrevue
radiophonique :
- La crise de la réplicabilité en psychologie
- La difficile problématique de la définition : En vrai, c'est quoi le bonheur
- Le bonheur, opium du peuple ?
- Le bonheur, sans morale et sans vertu
- L'égocentrisme dans la recherche du bonheur,
Mais
commençons par le commencement : qu'est-ce-que la psychologie
positive ? La psychologie positive est un courant de recherche
qui s'intéresse aux conditions de bien-être et de santé en
psychologie. Fondée officiellement en 1998 par Seligman, des travaux
s'inscrivant dans le même projet de recherche ont bien entendu
pré-existés. Cependant, c'est en réaction à la très grande
majorité de travaux en psychologie concernant le côté obscur de la
psyché humaine (dysfonctionnement, troubles, maladies mentales...)
que la psychologie positive s'est instituée. Le nom de cette
discipline, quant à lui, provient du dernier chapitre de l'ouvrage
Motivation
and Personality
d'Abraham Maslow : Toward a positive psychology
La
crise de la réplicabilité en psychologie :
Bien
que l'objectif soit noble, de nombreuses critiques ont été formulés
contre la psychologie positive : au niveau de sa méthodologie,
au niveau de son excès de positivité, au niveau de sa
scientificité. Ces différentes critiques sont reprises par Illouz,
à raison.
A raison ? Mais alors pourquoi réagir, tout est dit ! Sauf que si les critiques ont pointées des défauts pertinents dans la recherche en psychologie positive, cela n'en fait pas une pseudo-science pour autant, et surtout ces critiques ne concernent pas tous les travaux de cette discipline. Des chercheurs ont tenu compte de ces critiques et on modifiés leur théories, leurs recherches. Et c'est cela que nous allons voir par la suite. Surtout, la psychologie positive, dont la vision de l'homme est très proche de la psychologie humaniste, se distingue de celle-ci par la volonté de s'appuyer sur des preuves empiriques.
A raison ? Mais alors pourquoi réagir, tout est dit ! Sauf que si les critiques ont pointées des défauts pertinents dans la recherche en psychologie positive, cela n'en fait pas une pseudo-science pour autant, et surtout ces critiques ne concernent pas tous les travaux de cette discipline. Des chercheurs ont tenu compte de ces critiques et on modifiés leur théories, leurs recherches. Et c'est cela que nous allons voir par la suite. Surtout, la psychologie positive, dont la vision de l'homme est très proche de la psychologie humaniste, se distingue de celle-ci par la volonté de s'appuyer sur des preuves empiriques.
Note :
je pars du principe qu'une étude s'intègre à la psychologie
positive à partir du moment où elle aborde des questions pertinente
pour ce courant de recherche. Par exemple, certains chercheurs
étudient les émotions et les capacités de régulation émotionnelle
sans s'inscrire dans un cadre théorique positiviste, pourtant leurs
travaux sont plus que pertinents pour cette discipline.
Ainsi
le but de la psychologie positive serait de promettre une adaptation
à toutes les situations, même particulièrement malheureuse. C'est
en fait l'un des but majeur des travaux sur la psyché humaine. La
psychologie, ainsi que le psychiatrie, lorsqu'elle cherche à traiter
un patient, ne cherche rien de moins qu'à ce qu'il s'adapte aux
difficultés qu'il éprouve. Cependant, il ne s'agit pas de de guérir
ici, mais de prévenir, mieux, de s'épanouir. Illouz dans sa
description du but de la psychologie positive, ne parle pas tellement
des cas où l'on doit traiter un trouble, que de cette idée qu'avec
un ensemble de technique on pourrait éviter ces troubles, voir
s'améliorer.
Cette
idée de prophylaxie psychologique n'est pas juste un préjugé.
Seligman, dans le premier chapitre de son livre What
you can change and what you can't change,
dit cela
« Depression
and anxiety are caused by trauma, particularly bad childhood
experience; minimize bad experience, raise children without
adversity, and you will banish depression and anxiety ».
(« La dépression et l'anxiété sont causés par des
traumatismes, en particulier de mauvaises expériences infantiles ;
minimisez l'occurence de ces mauvaises expériences, élevez les
enfants sans adversité, et vous bannirez la dépression et
l'anxiété » ; traduction personnelle).
La
difficile problématique de la définition : En vrai, c'est quoi
le bonheur
L'une
des critique d'Illouz, c'est que finalement, il n'existerait pas de
définition clair du bonheur et que ce terme serait devenu un peu
fourre-tout. Cependant, en sciences humaines, il n'est pas rare que
certains concepts est des définitions différentes selon le courant
théorique ou l'approche utilisé par l'auteur d'une étude. La
définition de ce qu'est une émotion en est un bon exemple. Du côté
sociologique, on peut citer le concept de religion. Quand au côté
fourre-tout, il s'explique assez vite : cela arrive parce que
l'on part du principe que pour les chercheurs en psychologie, les
différentes définitions du bonheur sont cumulative, alors que
ceux-ci justement distingue ces définitions et en récuse certaines.
De même que l'utilisation dans les média et la vulgarisation de
termes comme bien-être, bonheur, satisfaction de manière
interchangeable donne une idée de comment les chercheurs utilisent
ces mêmes termes. Ce qui n'est pas tout à fait vrai.
On
va donc s'attaquer à ce problème, du mieux que l'on peut. En terme
de définition, certains voient les chosent en grand et conçoivent
le bonheur comme émergeant de conditions de vie spécifiques comme
l'acceptation de soi, la maîtrise de son environnement, le
développement de soi et la solidarité avec d'autre (Ryan &
Deci, 2001 ; Ryff, 1989). D'autres seront plus prosaïque et la
définiront comme un ration plaisir/souffrance tombant suffisamment
en faveur du plaisir (Kahnemann, 1999) ; dont une expérience
est repris pour critiquer la portée de la recherche en psychologie
sur le bonheur assez ironiquement).
Bien
que Oishi, Diener & Lucas (2009) les utilisent de manières
interchangeable, un débat commence à se tenir dans la communauté
scientifique pour distinguer les concept de bien-être subjectif, de
satisfaction de vie et de bonheur. Pour vous illustrer ces
distinctions, je m’appuierai sur un texte de Yew-Kwang Ng :
Happiness, Life Satisfaction, or Subjective Well-being ? A
Measurement and Moral Philosophical Perspective.
Le
bien-être est un terme généralement plus flou. On ajoute
généralement un qualificatif pour cette raison : bien-être
physique, bien-être psychologique, bien-être subjectif. Est
sous-tendue une idée de trouble. Parle t-on du bien-être général
ou au sens d'absence de trouble de la santé mentale ?
La
satisfaction de vie correspond moins en ce que l'on vit, qu'à la
manière d'en faire le bilan. Par exemple, un résistant au sortir
de la guerre aurait pu dire à quel point il à été malheureux car
les conditions de vie, peut-être de détention dans certains cas lui
auront fait vivre plus d'émotions négatives que positives. On parle
bien ici de bonheur. Cependant, il pourrait au final être tout de
même être content de ces choix en accord avec ses valeurs : ce
bilan représenterait sa satisfaction de vie.
Le
bonheur quant à lui à été définit plus haut.
Concernant
la critique de la définition du bonheur comme un véritable
fourre-tout, si cela est vrai dans la vulgarisation scientifique, ce
n'est pas le cas dans le milieux académique. Si tant de choses sont
associées à la notion de bonheur, des forces de caractères de
Seligman (avec le sens que l'on donne à sa vie par exemple)
jusqu'aux nombreuses compétences et traits associés, c'est parce
qu'ils ont une influence sur le bonheur sans forcément être le
bonheur lui-même. A titre de comparaison, c'est comme remplacer
« Aristote voyait le bonheur comme un but à atteindre à
travers l'exercice des vertus » par « Pour Aristote, le
bonheur est un concept flou, un fourre-tout ou l'on mélange un but
et des concepts comme les vertus ». Ainsi, des notions comme le
sens (donné à sa vie ou à son activité), la résilience,
l'auto-compassion, etc... ne sont pas des synonymes de la notion de
bonheur, mais désignent d'autres qualités qui peuvent influencer le
bonheur.
Le
bonheur dans la psychologie positive, opium du peuple ?
La
remarque de Illouz sur la recherche actuelle du bonheur est assez
ironique. Elle fait remarquer qu dans la recherche du bonheur telle
qu'elle se pratiquait dans la philosophie antique, contrairement aux
pratiques actuelles, il y avait cette idée d'un travail de nos
vertus, afin de s'adapter à un mode de vie considéré comme bon et
moral. Ce qui sous-entends qu'actuellement, les méthode d'accès au
bonheur seraient amorales et ne se baseraient pas sur un effort
constant du travail du caractère.
Je
vois parfaitement à quoi elle fait référence. Il existe en effet
un courant de penser du développement personnel, qui est
l'anti-thèse de la conception des Anciens de comment se recherche le
bonheur. Dans cette conception du développement de soi, il y a cette
idée que si l'on veut on peut. Il suffirait d'obéir à quelques
règles d'excellence pour atteindre le firmament de la réussite
sociale, à travers la pensée positive, la visualisation, des
habitudes particulière. La passion, la catharsis émotionnelle et
l'idée que chacun est unique tiennent une place spécifique dans
cette idéologie. On vous boost à coup de phrases inspirantes :
« Vis tes rêves, ne rêve pas ta vie », « Deviens
une meilleurs version de toi-même », « Fais passer ta
vie au niveau supérieure », « pensez positif ».
L'idée que tout est possible et que la « seule limite c'est
vous » imprègne le discours de ce genre de coaching. Tout ce
qu'Illouz dénonce y est présent. Mais, car il y a un mais, cela
n'est pas représentatif de tout le coaching, de tout le
développement personnel et encore moins de toute la psychologie
(positive ou non).
Mais
où est l'ironie alors ? Après tout, Illouz dénonce quelque
chose de réel. Oui, cependant, il est ironique que d'un côté,
Illouz mette dans le même panier cette vision amorale fondée sur le
plaisir du développement personnel et la thèse de Seligman. Car en
réalité, la vision qu'à Seligman se rapproche beaucoup de la
vision qu'avaient les Anciens de ce à quoi devait ressembler la
poursuite du bonheur.
Le
bonheur s’acquiert par une adaptation de soi à des façons de
vivre qui sont bonne ? C'est précisément ce que la
psychologie en général, psychologie positive comprise, affirme. Les
thérapies cognitivo-comportementales consistent en un travail sur
ses habitudes de pensées, ses comportements afin justement de
s'adapter au mieux à notre quotidien. En quoi cela ne requiert pas
de la discipline et du travail ? En quoi cela ne demande pas de
s'adapter à un mode de vie ? Parmi les habitudes, certaines
concerneront l'hygiène de vie : comme ne pas boire trop de café
dans la journée pour bien dormir, et ainsi éviter un sommeil de
mauvaise qualité et la fatigue qui s'ensuit. Cela demande-t-il moins
d'effort que d'essayer de vivre simplement comme le conseille la
philosophie stoïcienne ? De même, on demandera au patient de
prendre note de ses pensées, émotions et comportements lors des
situations qu'ils veut changer afin de trouver des stratégies pour
contourner le problème. Sans parler des pratiques, tels que les
exercices de méditation, qu'ils consistent en de simples exercices
d'attention centrée ou d'attention globale, ou qu'ils fassent appels
à des capacités de ré-appraisal (= litt. Ré-évaluation.
Consiste à réinterpréter un événement différemment, un nouveau
travail comme un défi ou une occasion d'apprendre de nouvelles
choses au lieu de le voir comme une occasion d'échouer. Ou
réinterpréter une émotion, par exemple le stress comme de
l'excitation parce que « l'on à hâte de ») ou
d'auto-induction d'émotions. Tous cela demande une certaines
disciplines et permets de construire des capacité cognitives
favorisant la maîtrise de soi. On ne le répétera jamais assez :
on ne peut pas contrôler le monde alors qu'il nous est parfois
défavorable, il n'est peut-être pas nécessaire d'en rajouter une
couche en ne pouvant jamais se maîtriser, idée avec laquelle, je
suis à peu près sur que les stoïciens seraient d'accord.
Une
autre critique d'Illouz, serait le fait que la quête d'un bonheur
auto-centré et un maniaco-positivisme forcené fonctionnent comme un
anesthésiant à la souffrance sociale. Les inégalités et les
injustices perdurent, mais l'on se priverait de la motivation de se
mobiliser contre elles en s'isolant et en ne s'occupant de son petit
confort émotionnel. Oishi, Diener et Lucas (2009) expliquent que
l'on peut distinguer deux niveau de bien-être qui sont optimum, mais
pas pour les mêmes résultats. Un plus haut niveau de bonheur serait
corrélé avec des relations sociales plus riches et plus de
bénévolat. Cependant, être légèrement moins heureux (sans
toutefois pouvoir être qualifié de malheureux) est corrélés avec
un plus grand revenu, une meilleure éducation et un plus grand
activisme politique. Donc effectivement, le bonheur peut finir par
contre-carrer toute velléité d'agir pour les changement, cependant,
on notera qu'il faut tout de même atteindre un niveau de bonheur
très haut, et surtout, que le niveau de bonheur optimal pour motiver
à agir et être efficace, bien que plus bas, reste un niveau de
bonheur assez haut. Je ne suis pas certain que beaucoup de personnes
puissent atteindre une extase telle qu'elles accepteraient tout.
Cependant, cela reste intéressant à garder en tête, en face des
stratégies des entreprises qui visent notre satisfaction au travail.
Qui
plus est, un positivisme forcené 'est pas forcément bon. Un champ
d'étude commence émergé concernant les effets de la diversité des
émotions ressentis sur la santé. Le concept d'emodiversity
(Quoidbach, Gruber, Mikolajczak, Kogan, Kotsou & Norton, 2014)
est une manière de voir la vie affective comme une sorte
d'écosystème qui serait fonctionnerait d'autant mieux que les
« espèces » le peuplant (= les émotions) seraient
diversifiés. Si la valeur prédictive de l'émodiversité (et la
pertinence d'établir une équivalence entre vie affective et
écosystème) à été critiquée (Brown & Coyne, 2017), l'idée
d'une importance d'une vie affective riche et variée pour
l'adaptation est quant à elle, assez bien établie. Labouvie-Vief &
Medler (2002) ont ainsi investigués deux stratégie de régulation
émotionnelle : l'optimisation des affects positifs et la
complexification des affects. La première à une visée
hédonique et tends à favoriser l'expérience d'affects positifs. La
seconde tends à favorise la formation d'une vision complexe et
nuancées des situations avec tolérance et ouverture d'esprit sans
chercher la répression des émotions, même négatives. Il s'avère
qu'un mode de fonctionnement utilisant ces deux approches,
c'est-à-dire impliquant une conscience ouverte et nuancée de sa vie
affective tout en étant capable d'optimiser les expériences
positives sans en abuser serait le plus adaptatif. De plus, la
complexité émotionnelle est associée à une plus grande
adaptabilité dans les relations interpersonnelles (Kang &
Shaver, 2004), dont on sait l'importance pour le bien-être.
Les
thérapies congitivo-comportementales de troisième générations,
comme l'Acceptance & Commitment Therapy ou le
Mindfulness-based cognitive therapy, s’appuient beaucoup
sur la pleine conscience, et l'idée d'acceptation de ce que l'on
ressent, au lieu d'éviter à tout prix de ne serait-ce que penser à
ce qui nous est désagréable. Or, avoir une meilleure conscience de
ses émotions, porter attention à ses expériences négatives sans
chercher à les fuir, c'est les critères d'un bon développement
émotionnel décrit dans les travaux sur la complexité émotionnelle.
La psychologie positive utilisant ces méthode, une de ces approches
consiste finalement à favoriser une utilisation équilibrée des
approches d'optimisation des affects positifs et de
complexification des affects.
Le
bonheur, sans morale et sans vertu
Concernant
l'aspect des vertus, Seligman (oui, lui encore) à réaliser des
travaux sur ce qu'il nomme les forces de caractères et les vertus.
Visiblement, ce pape de la psychologie positive est bien plus inspiré
par la philosophie antique que ce que laisse penser cette interview.
Il existerait selon Seligman (Peterson & Seligman, 2004), 24
forces de caractère répartis dans 6 vertus :
- Sagesse et connaissance : créativité, curiosité, ouverture d'esprit, aimer apprendre, perspective (?), innovation
- Courage : bravoure, persistance, intégrité, vitalité, enthousiasme
- Humanité : amour, gentillesse, intelligence sociale
- Justice : citoyenneté, justice, leadership
- Tempérance : pardon et pitié, humilité, prudence, maîtrise de soi
- Transcendance : appréciation de la beauté et de l'excellence, gratitude, espoir, humour, spiritualité.
Certaines
pourraient faire grincer des dents, surtout lorsque l'on prétend
faire de la science. Comment ça spiritualité ? Et la
citoyenneté, c'est vraiment une force de caractère ? Ce serait
pas plutôt le résultat d'une éducation formelle ? L'amour ?
Et
si l'on regarde, certaines forces de caractères ne concernent pas
tant le caractère que des pratique. La citoyenneté ? Il s'agit
d'être un citoyen actif et engagé, socialement responsable.
L'amour ? Il s'agit d'avoir une pratique régulière de
démonstration de son affection pour son entourage. Pour le coup, on
pourrait qualifier cette classification des 24 forces de caractère
comme d'un fourre-tout, mêlant trait de caractère et pratiques
sociales. Il est alors important de savoir ce que Seligman (et les
nombreux autres chercheurs ayant contribués à cette classification
entendaient par vertu et force de caractère). Une vertu est une
caractéristique centrale valorisée par les philosophes moraux et
les penseurs religieux. Les six vertus sont celles qui sont le plus
revenues à travers l'histoire et les différentes cultures. Elles se
subdivise en traits appelés forces de caractère qui correspondent
en des tendances assez stable et des moyens de manifester les vertus
dont elles font parties. Les thèmes situationnels qui sont les
contextes dans lesquels les forces de caractères s'expriment.
On
ne peut alors que constater que Seligman ne renie pas l'importance de
certaines vertu, ni d'une certaine morale dans la poursuite du
bonheur. Mieux, il à essayer de faire une classification
systématique et le plus exhaustive possible des facteurs personnels
contribuant au bonheur. Cette classification se veut un équivalant
du DSM des qualités d'une vie heureuse et épanouie. Si on peut, et
on doit, rester critique à propos de cette démarche, cela ne doit
pas empêcher de saluer un tel essai. Au mieux cela pourrait être
une étape déterminante dans la recherche sur le bonheur, au pire
cette conception part dans le mauvais sens, ce qui n'empêchera pas
de s'en servir pour savoir ou ne pas aller.
L'égocentrisme
dans la recherche du bonheur,
Enfin,
reste la question de l'individualisme forcené proné par la
psychologie positive. La pratiquer revient-il forcément à
s'enfermer en soi-même dans sa quête du bonheur ? Et bien il
s'avère que non. Cela part deux objets d'étude : celui de
l'importance du réseau social d'une personne pour son bonheur, et
les travaux sur le sens donné à ses actes et à sa vie
L'importance
du réseau social, des relations que l'on entretien avec ses proches
sur le bien-être et le bonheur n'a cessé d'être souligner en
psychologie, allant à l'encontre d'une vision ego-centrée du
bonheur. (Pinquart & Sörensen, 2000 ; voir Helliwell &
Putnam pour une revue des corrélations entre bien-être subjectif et
les différentes formes de relations sociales). Parmi les mécanismes
qui donnent leur importance à l'environnement social de l'individu,
il y a ce qui s'appelle le partage social des émotions. Il s'agit
simplement de ce phénomène ou lorsqu'il nous arrive quelque chose
d'important, ou qui nous bouleverse, parfois qui nous énerve un peu,
on se sente l'envie de parler à son entourage. En effet, les amis et
la famille d'une personne lui apportent un soutien émotionnel en lui
permettant entre autre de partager et de réfléchir sur ses
expériences émotionnelles (Rimé, 2009).
Car
oui, le sens que l'on donne à ses actes et à sa vie n'est pas une
définition du bonheur, contrairement à ce qu'affirme Illouz, c'est
juste un facteur qui peut influencer ce bonheur. Le sens de la vie
correspond à cette croyance dans le fait de participer à quelque
chose qui nous dépasse (au sens spirituel comme le projet d'une
divinité ou au sens séculaire comme l'amélioration de la société)
et par conséquent que la vie à un sens. Je tiens tout de suite à
préciser aux plus sceptique des lecteurs : on parle bien de
l'influence de la croyance suscité sur le bonheur, non pas de
l'étude de la question métaphysique de si la vie à effectivement
un sens.Plusieurs méta-analyses ont permis d'observer des
corrélations entre le sens donné à sa vie et la santé d'un
individu (Czekierda & al, 2017 ; Roepke & al, 2014) ou
le bien-être subjectif (Jin, He & Li, 2016 ; pour la
Chine). Participer à quelque chose qui nous dépasse, en s'intégrant
à un mouvement religieux, à une association à un syndicat, aux
actes de citoyenneté sont autant de façon donner du sens à sa vie,
ce qui peut permettre de s'épanouir le tout en intégrant un
environnement social.
Conclusion :
Je
ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit : je pense toujours que
les idées d'Illouz sont pertinentes et ses ouvrages font toujours
partis de ma liste des livres à lire. Cependant, nous pouvons voir
que sa critique fait l'amalgame entre une certaine forme de
développement personnel et de coaching, et ce qui est dit dans la
littérature scientifique ou dans la pratique clinique de la
psychologie positive.
Cette
critique d'un certain marché de l'épanouissement personnel à déjà
été fait. On pourra citer L'Empire
de Coach
de Gori et Le Coz sur le coaching en général, ou Enquête
sur le business de la communication non verbale
de Lardellier dont le titre est suffisamment évocateur. Des
promesses spectaculaires sont faites, des valeurs et des attentes
sont transmises ainsi qu'une certaine vision de la réussite, et de
son atteinte.
Chu,
dans un article (non-scientifique certes) souligne ainsi que souvent
dans le développement personnel, la réussite correspond plus ou
moins avec l'atteinte d'un haut statut social. Emmanuel Frendenrich,
Youtuber vendant des formations et du coaching en est exemple assez
récent et particulièrement parlant (vous
trouverez en note quelques Youtubers qui ont produit des critiques de
ladite personne).
Son principal produit c'est lui, faisant constamment référence à
son mode de vie (villa à Hollywood, hôtels luxueux, voyages autour
du monde) et à ses revenus, il vend aussi une certaine idée de la
réussite. La réussite à la Fredenrich, c'est se baigner dans une
villa de luxe, avoir un corps de culturiste et manger du boulghour.
On peut douter qu'un plombier avec quatre enfants soit un exemple de
réussite pour cette personne. Pourtant, du point de vue de la
psychologie positive, si ce plombier trouvait une certaine fierté à
faire un métier utile à la société, rendant service à nombre de
personne, arrivant à transmettre ses valeurs à ses enfants afin
qu'eux même deviennent des personnes qu'il considère comme bonne et
qu'il bénéficiait d'un cercle social de qualité, c'est-à-dire de
proches qui l'apprécient et l'aiment, alors il serait très probable
que sa vie soit considérée comme une réussite. Une réussite
humble, moins tape-à-l’œil que la réussite sauce Fredenrich,
mais une réussite tout de même, car celle-ci dépend de ce que le
sujet définit comme sa réussite, et du bien-être qu'il en retire
en allant dans la direction de celle-ci.
Les
valeurs associées à cette réussite font qu'une réussite qui ne se
voit pas n'est pas vraiment un réussite. On peut noter une tendance
à l'hyper-responsabilisation du coaché. Si il n'y arrive pas, c'est
parce qu'il « n'y croyait pas vraiment », qu'il n'y
croyait pas assez fort », qu'il entretenait des pensées
limitantes », peut être même qu'en réalité « il avait
trop peur de la réussite ». Cette dernière assertion
permettant à Fredenrich de vendre des techniques de
« neuro-conditionnement » sensées travailler sur
l'amygdale pour faire cesser l'association qui s'est faite entre la
peur et la réussite dans l'esprit du futur client.
Mounk
parle de « l'âge de la responsabilité » (Mounk, 2017) :
une ère où la responsabilité « en tant que devoir »
(=responsibility-as-duty)
à perdurée jusqu'aux années 1960, puis est devenue « la
responsabilité pour laquelle on doit rendre des comptes » (=
responsibility-as-accountability).
La « responsabilité « en tant que devoir »,
c'était la notion que le peuple avait une responsabilité collective
de se sacrifier pour le bien de la nation afin de préserver la
liberté dans la société occidentale. Avec le tournant néo-libérale
de 1960, on serait passé à la « responsabilité pour laquelle
on doit rendre des comptes » notamment avec un changement
rhétorique dans les discours présidentiels. Reagan qui mettait en
avant le rêve américain, la réussite personnelle, et le fait
qu'une personne qui avait fait de mauvais choix dans la vie ne
méritait pas d'aide de l'état. Cette idéologie néo-libérale à
formée les politiques de gestions des institutions, infusée dans le
discours publique, pour finir par inspirer le fond idéologique du
développement personnel. Et même si cet effets ne s'était produit
que dans les pays anglophones, sachant le succès des traductions de
livre de développement personnel de la langue anglaise à la langue
française, ce fond idéologique nous serait tout de même parvenu.
On en revient à la critique de base d'Illouz, sur
l'hyper-responsabilisation et l'atomisation de la société dans le
développement personnel d'idéologie néo-libéral, car oui, un
certain développement personnel à un gros problème, lorsqu'il
promet des miracles intenable, et qu'il culpabilise ses adhérant
pour leurs échecs. C'est pour cela qu'une véritable science du
bien-être, avec toute sa nuance doit établir ce qui peut permettre
aux individus d'avoir une vie épanouissante.
Note :
Pour
voir la chaîne d'Emmanuel Fredenrich :
Pour
les critiques faites sur Emmanuel Fredenrich :
Thomas
Gauthier : « Emmanuel (escroc) Fredenrich - Tabou #9 »
https://www.youtube.com/watch?v=kXRl711jwJ4
Seb
la Frite : « Comment réussir sa vie ? »
https://www.youtube.com/watch?v=g-rVNQBP8X8
Anthox
Colaboy : « Mes chers non-abonnements #45 : Emmanuel
Fredenrich » à https://www.youtube.com/watch?v=AY6L7RwDRtw
.
Références :
- Bodenhausen, G. V., Kramer, G. P., & S¨usser, K. (1994). Happiness and stereotypic thinking in social judgment. Journal of Personality and Social Psychology, 66, 621–632.
- Brown, N. J., & Coyne, J. C. (2017). Emodiversity: Robust predictor of outcomes or statistical artifact?. Journal of Experimental Psychology: General, 146(9), 1372.
- Cabanas, E., Illouz, E. (2018). Happycratie. Premier Parallèle.
- Czekierda, K.; Banik, A.; Park, C. L.; Luszczynska, A. (2017-10-02). "Meaning in life and physical health: systematic review and meta-analysis". Health Psychology Review. 11 (4): 387–418. doi:10.1080/17437199.2017.1327325. ISSN 1743-7199. PMID 28488471
- Fredrickson, B. L. (2001). The role of positive emotions in positive psychology: The broaden-andbuild theory of positive emotions. American Psychologist, 56, 218–226.
- Gori, R., & Le Coz, P. (2006). L'empire des coachs: une nouvelle forme de contrôle social. Albin Michel.
- Helliwell, J. F., & Putnam, R. D. (2004). The social context of well-being. Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences, 359(1449), 1435–1446. doi:10.1098/rstb.2004.1522
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