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Tu le sens mon dégoût ?!


Le dégoût est une émotion qui à eu grande importance dans l'histoire évolutive. Nombre d'empoisonnement et de contaminations ont probablement été évitées grâce à la capacité du dégoût à nous détourner d'aliments toxiques par exemple. Souvent l'aversion envers de la nourriture avariée se manifestera aussi au niveau du comportement, ce qui a un grand intérêt adaptatif : en voyant un membre de mon groupe dégoûté par quelque chose, cela m'évite d'avoir à le tester moi-même et donc de me mettre en danger en le goûtant à mon tour. On sait que chez les mammifère, les rongeurs notamment, le dégoût se transmet par la sueur. En effet, bien qu'ils soient pas dépourvus d'expressivité au niveau du visage, l'odorat reste une part importante de leur perception du monde, et donc un canal propice à l'échange d'information sur ce que ressent un congénère. Chez les primates, dont l'humain, cependant, la vue à pris une grande importance. Cela s'est manifesté par une adaptation au niveau de la mobilité du visage. Cependant, on pourrait se demander si il reste quelque chose de la transmission du dégoût par l'odeur. Cet article, Human chemosignal of disgust facilitate food judgment (Zheng & al, 2018) pourrait donner un début de réponse.
Pour commencer, on ne parle pas tellement de la transmission du dégoût, mais de la transmission sociale des préférences alimentaires (en anglais, social transmission of food preference abrégé STFP) dont la perception du dégoût chez autrui est une facette, celle étudiée par l'article en question. Cette transmissions peut passer par voie olfactive et à été observée dans des espèces n'appartenant pas aux primates. Par exemple, une souris qui voit une congénère manger quelque chose aura plus tendance à le manger si elle sent la nourriture à partir de l'haleine de celle-ci.
Chez l'humain, l'olfaction à la réputation d'être peu développé vis-à-vis de nos autres sens par rapport à d'autres espèces, pourtant, que ce soit du point de vue neural ou comportemental, on a documenté une capacité d'analyse des odeurs très performante (Bushdid & al, 2014 ; Laska, Genzel & Wieser, 2005 ; Laska, Seibt & Weber, 2000).
Ainsi, l'odorat humain pourrait discriminer un billion d'odeur (fun-fact, dans la langue anglaise on utilise ce qu'on appelle l'échelle courte, ou le billion est remplacé par trillion en terme d'échelle de grand nombre, c'est-à-dire mille milliard ou 1012. Dans l'article scientifique référencé par celui dont je parle ici, c'est la norme qui est utilisée, donc même si vous lisiez « one trillion » il faudrait comprendre un billion, dans la conclusion il mettent la numérotation avec exposant – 1012 – c'est comme ça que je l'ai su. Si il s'agissait de un trillion selon la norme mathématique qui utilise l'échelle longue, il s'agirait d'un milliard de milliard soit 1018 ! Une différence de normes qui à de quoi donner de sacrées sueurs froides aux traducteurs).
Concernant les couleurs, nous sommes limitées à 2,3 à 7,5 millions de nuances et en terme de tonalité à environs 340000 ! (Bushdid & al, 2014). Qui plus est, on pense actuellement que chaque modalité sensorielle pourraient avoir leurs spécialisation dans les dimensions des relations humaines sur lesquelles elles informeraient (Hall, Coats & LeBeau, 2005 ; App & al, 2011 ; Hertenstein & al, 2009, Ekman & al, 1980). Par exemple, le toucher serait plus efficace pour donner des informations sur le niveau d'intimité, le visage les émotions de bases (joie-tristesse-colère-peur-surprise-dégoût et selon certain le mépris). Ça ferait sens que l'odorat soit associées à la transmission d'information concernant l'alimentation.
Le candidat choisi pour la transmission d'odeur est la sueur, celle-ci déjà démontré sa capacité à transmettre des états comme la peur, l'anxiété et le dégoût (Frumin & al, 2015 ; Chen & Haviland-Jones, 2000 ; de Groot & al, 2012 ; de Groot & al, 2015 ; Li, 2014 ; Mujica-Parody & al, 2009 ; Prehn & al, 2006 ; Zhou & Chen, 2009 ; Regenbogen & al, 2017) et à provoquer chez le sujet exposé à celle-ci un état de simulation via la cognition, les affects et le comportement (autrement dit, sans être dans l'état qu'il discrimine par l'odeur, il est dans un état proche qu'il lui permet de comprendre l'émotion qu'il perçoit par l'odeur. Ce phénomène, observé aussi dans la perception visuelle des émotions, est considéré comme une base de l'empathie, voir Iacoboni, 2009, pour revue).
Pour étudier ce phénomène, 18 étudiantes ont été recrutée et testées afin de s'assurer qu'elles ne souffraient d'aucun problèmes neuropsychologiques, ne prenaient pas de médicament. Deux ont été écartées car elles échouaient à effectuer la tâche qui leur étaient donnée. La raison avancée par les auteurs pour le recrutement exclusif de femme est qu'elles seraient plus sensible aux signaux chimiques contenus dans la sueur (Mujica-Parody & al, 2009 ; de Groot, Semin & Smeets, 2014). Cela pourrait paraître curieux pour une expérience cherchant à démontrer un mécanisme qui serait présent indépendamment du sexe, surtout avec un échantillon aussi faible de sujet, mais pour une étude exploratoire, il arrive que des chercheurs veuillent mettre toutes les chances de leur côté, afin d'être sur d'isoler un effet, encourageant d'autres études sur le même sujet par la suite. C'est une manière de limité les coût et les risques si vous préférez.

En terme d'expérience, on exposait les sujets à différents stimuli appartenant à neuf catégories :



Visuel neutre
Visuel dégoût
Olfactif neutre
Olfactif dégout
Contrôle
Social
3 visages neutres
3 expressions faciales de dégoût
Sueur de personnes qui ont regardés des vidéos de paysages/animaux
Sueur de personnes qui ont regardé des vidéos induisant le dégoût
Juste un jet d'air, sans odeur
« Primaire »
3 animaux (poissons et oiseaux)
3 animaux (insectes, cafards)
Exposition à de l'acétophénone, de l'oxyde de rose, de l'alpha-pinène
Exposition à du triméthylaminurie, (poisson en décomposition) l'acide valérique ( chaussettes portée trop longtemps) et l'acide byturique (œufs pourris)


Note : pour obtenir de la sueur, ça à été assez aventureux. 14 hommes ont été sélectionné, parce que les hommes ont des glandes apocrines plus grosses. Ils ne fumaient pas, avaient interdiction de manger de la nourriture « odorantes » (comme de l'ail, j'imagine) ou de boire de l'alcool, ne devaient pas utiliser de déodorants ou d'autres produits avec un odeurs, pas d'activité sexuelle, pas d'exercice physique intense et ce pendant 3 moi.... non je plaisante ! Juste pendant deux jours. Ensuite, on leur à fait regarder en laboratoire, soit des vidéos évoquant le dégoût (des passages de X Factor où les candidats mangent des vers, du vomi ou d'autres choses, pendant 21 minutes ! Ils devaient se sentir bien après) ou sensé n'évoquer rien (des animaux ou des paysages, pendant 27 minutes). On avait donné un t-shirt et on avait mis des compresses stériles sous les aisselles des donateurs.

Note 2 : Vous remarquerez que je semble plus prudent quand je parle de condition neutre, avec des phrases telles que « sensé ne pas induire/évoquer ». LA raison c'est quand réalité on à pas de réel contrôle sur la perception des sujets. On peut réussir à peu près à leur induire certaines émotions, dont le dégoût qui à des déclencheurs assez spécifiques. En revanche, il est extrêmement dur de ne rien évoquer. Qu'est ce qui prouve que tel sujet n'éprouve pas ne serait-ce qu'un tout petit quelque chose en voyant un paysage ou un animal ? Que tel visage, ou les muscles sont au repos, pour des raisons morphologiques ne fait pas éprouver quelque chose (de l'antipathie, d l'attirance) ou ne donne pas l'impression malgré tout qu'une émotion est manifestée, à causes de rides par exemple ? C'est la raison pour laquelle les études portant sur les affects, c'est un casse-tête, c'est cool, mais c'est vraiment casse-tête.

Enfin, des photos de nourriture, notées comme saines (pomme, jus de fruit, pain multigrain) ou pas sain (donut, gâteaux, biscuits) étaient montrés, 8 de chaque afin que se soit toujours apparié (ou mis en couple si vous préférez) avec les photos neutre ou induisant le dégoût dont on parlait ci-dessus.
Grosso modo ça se passait comme ça : on plaçait le sujet dans un scanner, il regardait un écran avec une croix au milieux pendant 2 secondes (c'est pratique, il fixe la croix donc il bouge pas la tête, ce qui permet, d'avoir des images du cerveau plutôt qu'un flou artistique, et d'avoir un scan du cerveau au calme avant présentation des stimuli pour les comparaisons ultérieures). Les mots « renifflez maintenant ! » appaîssait (« Sniff Now ! » en réalité) suivi d'une diffusion d'une des odeurs pendant 2 s. Sur les essais visuel, les mots « Regardez maintenant » (je vous fait pas la traduction, vous avez compris, c'était en anglais) apparaissait suivi de 2 secondes d'exposition à une des images neutres ou inductrices de dégoût. Juste à la disparition du stimuli olfactif ou visuel une image de nourriture était immédiatement affichée pendant 700ms avec une question à choix forcée : sain ou pas sain ?
Tiré de l'article de Zheng & al, 2018. Pour des raisons de droits, les images de leur figure ne sont pas celles utilisées lors de l'expérience

Les résultats sont assez intéressant. Les indices de dégoût en général, réduisent le temps de réponse à la question « sain/pas sain ? ». Mais il faut noter que contrairement aux indices sociaux, les indices non-sociaux diminuent l'exactitude des jugements et empirant un biais consistant à juger plus souvent la nourriture comme « pas saine ». Il se pourrait que les stimuli non-sociaux fonctionnent comme une simple amorce affective (c'est-à-dire que cela amorce un été émotionnel général de dégoût où on rejette plus de chose) tandis que les stimuli sociaux induisent un état plus discriminatoire (ou le rejet est « spécialité », concernant un certain type de nourriture, ici les aliments « pas sain »).
Un autre résultat ultra-intéressant, c'est que les signaux sociaux olfactif (la sueur) sont associés à une plus grande activité du cortex orbito-frontal, de l'amygdale (les deux étant fortement impliqué dans le traitement des émotions) et surtout de l'aire fusiforme des visages qui pourtant, comme son nom l'indique, est plutôt impliqué dans le traitement des visages. Bien que l'activation des aires visuelles et de l'aire fusiforme des visage soit supérieure avec des indices visuels, leur activation par la perception de la sueur est interprétée par les auteurs comme une primauté de la communication olfactive sur la communication visuelle dans le cas de la sélection de nourriture, en accord avec les travaux sur d'autres espèces. Cela n'est cependant pas une première, des résultats similaire ont été obtenu concernant des expériences sur la sueur comme moyen de communication dans les choix d'un partenaire, ou pour avoir des indices sur l'état de santé d'autrui (Regenbogen & al, 2017 ; Zhou & Chen, 2008).
Les odeurs ne provenant pas de la sueur activait principalement le bulbe olfactif.
Cette expérience corrobore l'idée d'une communication olfactive toujours présente, qui serait un héritage de notre évolution, bien avant que notre système visuel ne se spécialise (entre autre) dans le traitement des expressions faciales. On notera des limitation, comme l'absence de test rigoureux concernant l'odorat des sujets, le nombre limité desdits sujets. Cependant, les résultats indiquent des pistes de recherche intéressantes pour les années à venir concernant un domaine de la communication non-verbale qui est extrêmement peu présenté au grand public.

Références :

  • App, B., McIntosh, D. N., Reed, C. L. & Hertenstein, M. J. Nonverbal channel use in communication of emotion: How may depend on why. Emotion 11, 603 (2011).
  • Bushdid, C., Magnasco, M. O., Vosshall, L. B. & Keller, A. Humans can discriminate more than 1 trillion olfactory stimuli. Science 343, 1370–1372 (2014).
  • Chen, D. & Haviland-Jones, J. Human olfactory communication of emotion. Perceptual and motor skills 91, 771–781 (2000).
  • de Groot, J. H. B., Smeets, M. A. M., Kaldewaij, A., Duijndam, M. J. A. & Semin, G. R. Chemosignals communicate human emotions. Psychological science 23, 1417–1424 (2012).
  • de Groot, J. H. B. et al. A sniff of happiness. Psychological science 26, 684–700 (2015).
  • de Groot, J. H. B., Semin, G. R. & Smeets, M. A. M. Chemical communication of fear: A case of male–female asymmetry. Journal of experimental psychology: general 143, 1515 (2014).
  • Ekman, P., Friesen, W. V., Osullivan, M. & Scherer, K. Relative Importance of Face, Body, and Speech in Judgments of Personality and Affect. Journal of Personality and Social Psychology 38, 270–277, https://doi.org/10.1037//0022-3514.38.2.270 (1980).
  • Frumin, I. et al. A social chemosignaling function for human handshaking. Elife 4, e05154 (2015).
  • Hall, J. A., Coats, E. J. & LeBeau, L. S. Nonverbal behavior and the vertical dimension of social relations: a meta-analysis. Psychological bulletin 131, 898 (2005).
  • Hertenstein, M. J., Holmes, R., McCullough, M. & Keltner, D. The communication of emotion via touch. Emotion 9, 566 (2009).
  • Iacoboni, M., Imitation, Empathy, and Mirror Neurons. Annual Review of Psychology, 2009, 60:1, 653-670
  • Laska, M., Genzel, D. & Wieser, A. The number of functional olfactory receptor genes and the relative size of olfactory brain structures are poor predictors of olfactory discrimination performance with enantiomers. Chemical senses 30, 171–175 (2005).
  • Laska, M., Seibt, A. & Weber, A. ‘Microsmatic’ primates revisited: olfactory sensitivity in the squirrel monkey. Chemical Senses 25, 47–53 (2000).
  • Li, W. Learning to smell danger: acquired associative representation of threat in the olfactory cortex. Frontiers in behavioral neuroscience 8, 98 (2014).
  • Mujica-Parodi, L. R. et al. Chemosensory cues to conspecific emotional stress activate amygdala in humans. PLoS One 4, e6415 (2009).
  • Prehn, A., Ohrt, A., Sojka, B., Ferstl, R. & Pause, B. M. Chemosensory anxiety signals augment the startle reflex in humans. Neuroscience letters 394, 127–130 (2006).
  • Regenbogen, C. et al. Behavioral and neural correlates to multisensory detection of sick humans. Proceedings of the National Academy of Sciences 114, 6400–6405 (2017).
  • Zheng, Y., You, Y., Farias, A.R., Simon, J., Semin G.R., Smeets, M.A., Li, W. Human chemosignals of disgust facilitate food judgment. Scientific Reports, 8, 17006 (2018)
  • Zhou, W. & Chen, D. Fear-related chemosignals modulate recognition of fear in ambiguous facial expressions. Psychological science 20, 177–183 (2009).
  • Zhou, W. & Chen, D. Encoding human sexual chemosensory cues in the orbitofrontal and fusiform cortices. J Neurosci 28, 14416–14421, https://doi.org/10.1523/JNEUROSCI.3148-08.2008 (2008).

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