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Les mystérieuses stats du bonheur : 2. L'environnement


Ce billet est la deuxième partie d'un mini-dossier de trois articles sur la célèbre formule du bonheur disant que 50% de celui-ci serait influencé par la génétique, 40% par les activités intentionnelles et 10% par l'environnement.
Le premier article est accessible ici.
Le troisième n'est pas encore publié.


La semaine dernière, j'avais commencé à vous parler de cette formule que l'on voit partout et qui dit que 50% du bonheur est déterminée par la génétique, 10% par votre environnement socio-économique et 40% par ce que vous décidez de faire. On avait vu que Sonja Lyubomirsky l'avait formulée dans son livre The How of Hapiness, mais aussi dans un article scientifique co-écrit avec Sheldon et Schkade en 2005, Pursuing happiness : The architecture of sustainable change. Nous nous étions intéressés à la part génétique et à l'étude de Lykken & Tellegen (1996), étude comparative de jumeaux monozygotes partageant tout leurs gènes parentales ensemble et les jumeaux dizygotes ne partageant que 50% des gènes de chacun de leur parents ensembles, qui servait à étayer son pourcentage. Nous avions conclu que bien que les résultats de plusieurs études pointaient une estimation autour de 50% de part génétique du bonheur.

Concernant le chiffre de 10%, Sonja Lyubomirsky s'appuie sur une étude de Diener, Suh, Lucas & Smith de 1999 : Subjective Well-Being : Three Decades of Progress. Cet article n'est pas une expérience, comme celle Lykken & Tellegen (1996) mais une (très) longue revue de la littérature sur la notion de bien-être subjectif. Longue au point de faire 27 pages (une étude en psychologie relatant une expérience varie plus souvent entre 4 et 7 pages), et les auteurs se plaignent encore dés l'introduction qu'il est dommage qu'ils aient dû se conformer à des limitations de pagination parce qu'ils auraient volontiers abordés d'autres sujets !


Vous êtes sérieux les gars ?

Au point qu'ils ne nous proposent pas de lire un, mais 4 ouvrages supplémentaires ! Pour les deux du fond qui seraient intéressé, c'est Argyle (1987) ; Diener & Suh (sous presse) ; Strack, Argyle & Schwarz (1991) et Kanheman, Diener & Schwarz (1999).

Revenons à nos moutons. L'article est donc une revue des différentes théories et des différentes facettes du bien-être subjectif, suffisamment pour que j'en tire une dizaine de billets de blogs voir plus.

Ce qui fait que les mentions d'études de corrélations entre environnement et bonheur ne couvrent pas un grande partie dudit papier (un petit paragraphe). L'étude de Campbell, Converse & Rodgers (1976) ont trouvé que des facteurs démographiques (âge, sexe, revenu, origines ethniques, éducation et statut marital) ne comptait que pour moins de 20% de la variance en terme de bonheur. Andrew & Whitney (1976) trouvèrent 8% avec les mêmes variables. Enfin, Argyle (1999) en faisant sa revue de la littérature, arrive à 15% de variance du bien-être subjectif dû à des circonstances externes. Cela est résumé en trois lignes et le reste de l'article consistera à expliciter toutes les autres causes que Diener, Suh, Lucas & Smith (1999) ont pu traiter. Cela passe par la personnalité, avec un passage sur l'héritabilité et notamment sur l'article de Lykken & Tellegen (1996), l'effet de la comparaison sociale, les buts que l'on se donne dans la vie, les stratégies de régulation des émotions et du stress. Tout cela pour finir par conclure que la personnalité, ses buts, et la manière de conduire sa vie sont bien plus importants que les effets de l'environnement.

Concernant l'héritabilité, il y a même de quoi relativiser encore les statistiques obtenus par Lykken & Tellegen (1996), puisque les auteurs indiquent que les chiffres d'héritabilité sont souvent plus bas que ceux des deux chercheurs. De plus, les résultats peuvent varier, comme dans cette étude de Baker, Cesa, Gatz & Mellins (1992) où ils trouvèrent une influence génétique sur la proportion d'affects négatifs ressenti mais plutôt des effets environnementaux et « d'assortative mating » sur la proportion d'affects positifs. L'assortative mating c'est le fait de choisir un partenaire assorti (je n'ai pas trouvé d'équivalent exacte de cette expression, « choix de partenaire assorti » me paraissait maladroit) souvent du point de vue phénotypique (= de comment les gènes se sont exprimés et de ce que l'on en voit, la couleur de peau, la taille, etc...). Par extension, dans l'espèce humaine on parlera aussi d'assortative mating lorsque ce choix aura été fait sur des critères sociaux. On pourrait le traduire de la sorte : « qui se ressemble s'assemble ». De plus, cela est à nuancé. Dans la partie sur la personnalité, les auteurs expliquent que la part de variance du bien-être subjectif dû à l'héritabilité était complexe. Il y a l'effet des gènes sur le tempérament, c'est à dire la tendance à ressentir plutôt des affects positifs ou négatifs, la variabilité de l'humeur. Mais une personnalité donnée aura plus de chance de nous faire faire des choix, qui eux-même auront un impact sur le bien-être subjectif. Donc il y aurait une part de variance directe, et encore une part de variance indirecte dû aux facteurs génétiques même dans la part de variance dû aux choix de vie. Et c'est bien là le problème avec la formule du bonheur. Elle est claire, en chiffre rond, elle se retient bien, mais manque de nuance. La relation entre génétique, environnement et choix de vie sont eux même inter-corrélés, de sorte que même lorsque l'on isole un facteur, on est pas certains qu'il n'y ait pas « des bouts » d'un autre facteur qui influence le premier.

Je n'ai pas plus parlé des autres études car il s'agissait plus d'établir sur quels chiffres Lyubomirsky s'était basée pour faire son fromage tripartite du bonheur. Elle cite explicitement dans sa petite note l'étude de Lykken & Tellegen (1996), mais pas les études citées dans Diener, Suh, Lucas & Smith (1999) qu'elle à pourtant lu. J'en reparlerai en conclusion du troisième article.

L'une des raisons expliquant le peu d'impact des effets environnementaux sur le bonheur s'explique par notre capacité à nous adapter. En psychologie, on parle même d'adaptation hédonique. Pour ceux qui n'ont pas lu le billet précédent, l'adaptation hédonique est un phénomène où le niveau de bien-être revient à une valeur de base sur le long terme. Ainsi, Brickman, Coates & Janoff-Bulman (1978) ont constatés que si on interrogeait les gagnants de la loterie et des victimes d'accident causant des paralysies un an après l'événement heureux ou malheureux, ils déclaraient être aussi heureux avant l'événement qu'au moment de l'interview.

Ce qui nous amène au chiffre de 10%. Là encore il s'agit de simplification. Dans l'article de Lyubomirsky, Sheldon & Schkade (2005) expliquent que la part des circonstances de vie sur le bien-être varie entre 8% et 15%. Il s'agit donc là encore d'un choix de simplification. Je note tout de même que si la revue d'Argyle à été prise en compte, cela biaise le résultat. En effet, les facteurs externes pris en compte par Argyle comprennent des facteurs démographiques, sociaux, économiques, mais aussi les loisirs et activité que l'on à. Argyle est en quelque sorte à cheval entre le 10% d'influence environnementale et le 40% d'influences dû aux choix de vie.

Il y a peu de choses à dire au final, car l'article de référence cité par Lyubomirsky est lui-même assez court. Pour réellement connaître l'origine de ces chiffres il faut se plonger dans les ouvrages eux-même (pas des articles, des ouvrages ! Rien que Andrew & Whitney, 1976, ça fait plus de 400 pages!).

Le chapitre d'Argyle (1999) permet tout de même d'avoir plus de détail, car ce serait dommage de partir en se disant « Lyubomirsky elle dit 10% d'influence environnementale parce tel revue de Diener, Suh, Lucas & Smith cite trois études/chapitres,mais on sait pas ce qu'il y a dedans ». En résumé:
  • l'âge aurait un léger effet positif car il y aurait une légère réduction du fossé entre ses buts et ses accomplissements (on à eu plus de temps pour atteindre ses objectifs si vous préférez).
  • L'éducation aussi, mais son lien avec le bien-être subjectif n'est pas direct, il se traduit au travers du revenu et de la profession. Qui plus est, ce lien indirect se manifeste plus dans les pays du tiers-monde.
  • La classe sociale influence le bien-être pour des raisons similaire à l'éducation, mais aussi par un meilleur accès à certains loisir et aux services de santé.
  • Les relations entre revenus et bien-être sont complexes et assez faibles, écart qui se vérifie surtout entre les personnes aux revenus les plus bas (= gagner 100€ de plus quand on est au SMIC ferait une différence, gagner 1,000,000 en plus de ses 10,000,000 € pas vraiment).
  • Au niveau national, une plus grande prospérité n'avait pas eu d'effet positif sur le bonheur, mais le déclin de prospérité diminue clairement le niveau de bonheur.
  • Les relations sociales ont une influence bien plus importante sur le bien-être. Le statut marital ayant l'effet le plus fort, les personnes mariées rapportant être bien plus heureuses et les divorcés et les séparés les moins heureux.
  • Le soutien social aurait des effet bénéfiques sur la santé mentale et physique.
  • Faire partie d'une minorité ethnique influence négativement le niveau de bonheur, mais ce lien devient faible lorsque l'on contrôle l'effet de l'éducation et du revenu.
  • Le chômage est une cause majeure de mal-être.
  • La religion à un effet bénéfique, mais indirecte ; en effet c'est le soutien social offert par la communauté religieuse qui influence le bien-être.

De même d'autres références sont trouvables dans l'article de Lyubomirsky, Sheldon & Sckalde (2005) :
  • Les personnes mieux payées sont en moyennes plus heureuses (Diener, Sandvik, Seidlitz & Diener, 1993).
  • Les individus des classes moyennes sont en moyenne plus heureuses que les individus de la classe ouvrière (Warr & Payne, 1982).
  • Les personnes mariées sont en moyenne plus heureuses que les célibataires, les divorcés et les veufs (Mastekaasa, 1994 ; Diener, Gohm, Suh & Oishi, 2000).
  • Les personnes en bonne santé se déclarent en moyenne un peu plus heureux que les personnes malades (Okun & al, 1984).
D'autres facteurs externes sont soulignés par Argyle, mais ceux-ci tiennent plus des choix d'activité (nos 40% de la semaine prochaine). Qui plus est, je tiens à souligner que lorsque je dis que tel facteur (le soutien social par exemple) est une cause majeure de bien-être, c'est par rapport aux facteurs externes soulignés par Argyle, ça ne remet pas en cause les fait que d'autres facteurs (génétiques par exemple) aient plus d'impact.

La semaine prochaine (dans quatre jours si je respecte mon calendrier, ce billet paraissant déjà en retard) nous verrons le 40 derniers pourcent de notre fromage tripartite du bonheur : ce qui est dû à nos choix de vie et d'activité.

Références :

  • Andrews, F. M., & Withey, S. B. (1976). Social indicators of well-being. New York: Plenum Press.
  • Argyle, M. (1987). The psychology of happiness. London: Routledge.
  • Argyle, M. (1999). Causes and correlates of happiness. In D. Kahneman, E. Diener, & N. Schwarz (Eds.), Well-being: The foundations of hedonic psychology. New York: Russell Sage Foundation.
  • Baker, L. A., Cesa, I. L., Gatz, M., & Mellins, C. (1992). Genetic and environmental influences on positive and negative affect: Support for the two-factor theory. Psychology and Aging, 7, 158-163.
  • Brickman, P., Coates, D., & Janoff-Bulman, R. (1978). Lottery winners and accident victims: Is happiness relative?. Journal of personality and social psychology, 36(8), 917.
  • Campbell, A., Converse, P. E., & Rodgers, W. L. (1976). The quality of American life. New York: Russell Sage Foundation.
  • Diener, E., Gohm, C. L., Suh, E., & Oishi, S. (2000). Similarity of the relations between marital status and subjective well-being across cultures. Journal of Cross-Cultural Psychology, 31, 419–436
  • Diener, E., Sandvik, E., Seidlitz, L., & Diener, M. (1993). The relationship between income and subjective well-being: Relative or absolute? Social Indicators Research, 28, 195–223
  • Diener, E., & Suh, E. M. (Eds.), (in press). Subjective well-being across cultures. Cambridge, MA: MIT Press.*
  • Diener, E., Suh, E. M., Lucas, R. E., & Smith, H. L. (1999). Subjective well-being: Three decades of progress. Psychological bulletin, 125(2), 276.
  • Kahneman, D., Diener, E., & Schwarz, N. (Eds.). (1999). Well-being: Foundations of hedonic psychology. Russell Sage Foundation.
  • Lykken, D., & Tellegen, A. (1996). Happiness is a stochastic phenomenon. Psychological science7(3), 186-189.
  • Lyubomirsky, S. (2008). The how of happiness: A scientific approach to getting the life you want. Penguin.
  • Lyubomirsky, S., Sheldon, K. M., & Schkade, D. (2005). Pursuing happiness: The architecture of sustainable change. Review of general psychology, 9(2), 111-131.
  • Mastekaasa, A. (1994). Marital status, distress, and well-being: An international comparison. Journal of Comparative Family Studies, 25, 183–205
  • Okun, M. A., Stock, W. A., Haring, M. J., & Witter, R. A. (1984). The social activity/subjective wellbeing relation: A quantitative synthesis. Research on Aging, 6, 45–65.
  • Strack, F., Argyle, M., & Schwarz, N. (Eds.). (1991). Subjective wellbeing: An interdisciplinary perspective. Oxford: Pergamon Press
  • Warr, P., & Payne, R. (1982). Experience of strain and pleasure among British adults. Social Science and Medicine, 16, 1691–1697

  • Note : après vérification, l'ouvrage Subjective well-being across cultures de Diener & Suh est introuvable. Probablement parce qu'entre la publication de l'article et la publication de l'ouvrage cité, ils ont décidés de changer le titre. La référence bibliographique correcte serait celle-ci : Diener, E., & Suh, E. M. (Eds.). (2003). Culture and subjective well-being. MIT press. J'ai gardé la référence donnée dans l'article, ne sachant s'il s'agit réellement du même ouvrage renommé, ou si l'ouvrage actuel à été réécrit car le premier ne satisfaisait ni les auteurs, ni l'éditeur.

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