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Les effets de l'évolution sur la musculature faciale des chiens par rapport aux loups



Cet article est celui annoncé en teaser dans cette réaction à un billet de blog roumain d'un « expert » du visage. Dans le précédent article nous avions vu pourquoi le muscle découvert chez les chiens mais pas chez les loups ne pouvait pas être le corrugator : déjà parce qu'il n'effectue pas le même mouvement (il rapproche les sourcils au lieu de les lever) et surtout parce qu'il n'existe pas (en tant que tel, ou un équivalant) chez les chiens, ni les loups. Mais quel est cette étude ? Et ce muscle, quel est-il ? La suite ci-dessous. 


Souvent, lorsque l'on parle d'expressions faciales, on parle des humains. Normal, nos congénères étant ceux avec qui l'ont interagira le plus dans notre vie. Parfois, on pense à nos animaux de compagnie, notamment la chien.
On dit de lui qu'il est le meilleur ami de l'homme, il faut dire qu'il nous donne un sacré coup de main depuis 33.000 ans (Thalmann & al, 2013), depuis que celui-ci à commencé à être domestiqué. Ce loup domestiqué (car oui le chien est une sous-espèce de loup et non pas une espèce différente) a développé certaines caractéristiques bien spécifiques que n'a pas son cousin sauvage (du moins en moyenne). L'une d'elle concerne son anatomie musculaire faciale.
On connaissait la capacité des chiens à interpréter et à s'adapter à la communication humaine (Hare, Brown, Williamson & Tomassello, 2002 ; Kaminski & Marshall-Pescini, 2014). Rajoutons à cela qu'ils se montrent plus habiles à interpréter les indices de communication des humains comme les gestes de pointage (= montrer du doigt ou de la main), et la direction du regard que les chimpanzés, loups et autres animaux domestiques (Kaminski & Marshall-Pescini, 2014), établissent un contact oculaire avec les humains lorsqu'ils ne peuvent résoudre un problème, contrairement aux loups (Miklosi & al, 2003 ; Marshall-Pescini & al, 2007). Cette motivation à établir un contact visuel est présent dés le jeune âge (Gacsi & al, 2005 ; Viranyi & al, 2008).

Concernant l'anatomie du visage, les chercheurs ont procédés à la dissection du visage de 4 loups et 6 chiens. J'en profite pour ajouter que bien évidemment, les animaux n'ont pas été tués exprès pour cette étude. Deux spécimen de loup ont été achetés dans l'industrie de la taxidermie et les deux autres ont été donné par le Michigan Department of Natural Ressources. De même pour les chiens qui venaient du National Museum of Health and Medicine (NMHM).
L'anatomie musculaire du visage entre chiens et loups est très semblable et diffère uniquement autour des yeux :




Musculature faciale du loup (C. lupus) (votre droite) et du chien (C. familiaris) (votre gauche) dont les différences anatomiques ont été surlignées en rouge. Image courtesy of Tim D. Smith (Cambridge University Press, Cambridge, UK)


Ainsi, le levator anguli oculi medialis (LAOM sur l'illustration ci-dessus) était présent chez les chiens. Si il était quasiment introuvable, il ne serait pas tout à fait exact d'affirmer qu'il était absent chez les loups, quelques fibres musculaires éparses de ce muscle étaient tout de même là, noyées dans un tas de tissus conjonctifs (tissus servant de soutiens ou de couches de protections pour d'autres tissus). De même un tendon, mêlés aux fibres musculaires de l'orbiculari oculi (le muscle qui fait le tour de l’œil sur le schéma au-dessus) à été trouvé à l'endroit où le levator anguli oculi medialis aurait été placé chez le chien. Le considérer comme absent est à peine un exagération.
Un autre muscle, le retractor anguli oculi lateralis (RAOL), qui rétracte le coin extérieur de l’œil vers les oreilles était aussi plus épais chez les chiens que chez les loups (et était même absent chez un spécimen de loup). Ce muscle était absent chez le husky, dont on sait qu'ils sont plus proches génétiquement des loups que les autres races de chiens. En terme de comportement, comme attendu, les chiens produisaient le mouvement associé à ce muscle avec une plus grande aisance.
Pour le reste de la musculature autour des yeux, les chercheurs n'ont pas trouvés de différences.

Pour la partie comportementale, ils ont observés la fréquence et l'intensité de l'AU 101 lors d'interactions sociales humains-chiens (27 sujets) et humains-loups (6 sujets). Pour cela, une personne étrangère aux sujets s'approchait de leur niche, et les filmait sur une durée de 2 minutes. Comme dit plus haut, les chiens produisaient plus fréquemment d'AU 101 (= élévation de la pointe interne des sourcils, pour avoir des exemple je vous invite à voir les vidéos proposées par les auteurs de cette étude à la fin de l'article ici). De même les chiens étaient les seules à produire des AU 101 avec une intensité (= force de contraction) maximale. Dans le FACS et ses adaptations, l'intensité d'un mouvement est notée du plus faible – A – au plus fort – E. Les chiens seuls produisaient des AU 101 D ou E, les loups ne dépassant pas l'intensité d'un AU 101 C. L'une des explications possibles à cette limite pourrait être dû en parti aux tissus conjonctifs, plus présents chez les chiens, qui assureraient une connexion plus étendue entre l'épiderme et les muscles faciaux et qui expliqueraient la plus grande mobilité faciale des chiens par rapport aux loups. Cette hypothèse a été aussi formulée par Burrows, Diogo, Waller & Kaminski, (2017) qui soulignaient d'ailleurs que cela pourrait indiquer la formation d'un système musculo-aponévrotique superficiel (= SMAS), une couche de collagène et d'élastine (une protéine) retrouvé généralement chez les primates et qui serait associé à la malléabilité du visage. Cette même étude encore, montrait la présence d'un plus grand nombre de fibres lentes dans les muscles du visages. Ces fibres lentes sont spécialisées dans les contraction de longue durée, et permettent aux chiens de faire durer leurs expressions faciales plus longtemps.


Ce chien par exemple produit un AU 101, élevant la partie interne de ses sourcils.

Ce pourrait être un exemple de co-évolution entre chiens et humains. La sélection aurait pu être en partie dû à une sélection, intentionnelle ou non, de l'homme. Dans la communication humaine, le mouvement d'élévation des sourcils accompagne la hausse de la voix afin d'attirer l'attention sur un point sur lequel on veut mettre l'emphase (Guaïtela, Santi, Lagrue & Cavé, 2009 ; Bel, Marliens, Kramher, Ruttkay, Swerts & Wesselink, 2002), ce qui se retrouve dans la réciproque : les sujets portent un intérêt particulier sur le haut du visage et la région autour des yeux pour la détection de cette même emphase (Bel, Marliens, Kramher, Ruttkay, Swerts & Wesselink, 2002). Cet attention pour la partie supérieure du visage ne s'arrête pas qu'aux humains, puisqu'elle est détectée même lorsque des sujets observent des photos d'animaux, dont des photos de chiens (Guo, Tunnicliffe & Roebuck, 2010).
Une autre hypothèse serait que l'AU 101 rendrait la sclère (la partie blanche du globe oculaire) plus visible. On sait qu'il existe une préférence pour interagir avec des êtres ayant une sclère plus visible chez l'humain (Segal, Goetz & Maldonado, 2016). Cette préférence est probablement due au fait que la sclère permet de rendre plus lisible la direction des regards, et de mieux participer aux interactions sociales et de coopération (Kobayashi & Kohshima, 2001 ; Tomasello, Hare & Lehmann, 2007). De même, cette expression qui rappelle l'expression prototypique de tristesse chez l'humain et qui augmenterait l'effet pédomorphique (= qui donnent l'impression que l'individu est très jeune, avec un front large et de grands yeux) aurait été favorisée, car lors de la domestication, les humains les auraient préférés, se seraient occupés et donc fait se reproduire les chiens manifestant ce comportement et les adaptations anatomiques correspondantes. Dans tout les cas, les photos où elles sont présentent semble préférées par les humains (Waller & al, 2013). Cette dernière étude utilisait d'ailleurs le DogFACS (Waller & al, 2013), une adaptation du système du FACS, mais pour la mesure à l’œil nu de mouvement visibles du visage du chien (et pour info, l'élévation de la pointe interne des sourcils c'est l'AU 101, AU = action unit ou unité d'action).

Too long too read :

  • Pour résumer, deux muscles ont été trouvés chez le chien qui sont absent ou presque chez le loup : le levator anguli oculi medialis (LAOM) et le retractor anguli oculi lateralis (RAOM).
  • Le levator anguli oculi medialis (LAOM) permet au chien de produire une élévation de la pointe interne des sourcils (AU 101) de manière plus prononcée que le loup, et il a tendance à le faire à une plus grande fréquence.
  • On pense que ces caractéristiques seraient dû à une forme de sélection par co-évolution avec l'homme, soit parce qu'elle rappelle l'expression prototypique de tristesse et provoque des réactions de soin, soit parce qu'elle rend les chiens plus mignon en soulignant leur caractère infantile, soit parce qu'elle facilite les interaction sociale en rendant la direction du regard plus claire.

Une anecdote pour la fin : Par acquis de conscience, j'ai voulu vérifier s'il existait un WolfFACS. Il se trouve que dans le résumé de Burrows, Diogo, Waller & Kaminski (2017), il parlent de « WolfFACS studies », cependant, il semble que cette expression soit à prendre dans le sens de « étude des expressions faciales des loups en utilisant un dérivé du FACS qui leur est adapté », et il semble qu'ici, se soit le DogsFACS qui à été utilisé à la fois pour les loups et les chiens étant donné car leur musculature et les mouvements de leur visages sont quasi-identique (Kaminski, communication personnelle).

Références :

  • Bel, Marliens, Krahmer, E., Ruttkay, Z., Swerts, M., & Wesselink, W. (2002). Pitch, eyebrows and the perception of focus. In Speech Prosody 2002, International Conference.
  • Burrows, A., Diogo, R., Waller, B., & Kaminski, J. (2017). Variation of Facial Musculature between Wolves and Domestic Dogs: Evolutionary Divergence in Facial Movement. The FASEB Journal, 31(1_supplement), 577-3.
  • Gácsi, M., Győri, B., Miklósi, Á., Virányi, Z., Kubinyi, E., Topál, J., & Csányi, V. (2005). Species‐specific differences and similarities in the behavior of hand‐raised dog and wolf pups in social situations with humans. Developmental Psychobiology: The Journal of the International Society for Developmental Psychobiology, 47(2), 111-122.
  • Guaïtella, I., Santi, S., Lagrue, B., & Cavé, C. (2009). Are eyebrow movements linked to voice variations and turn-taking in dialogue? An experimental investigation. Language and speech, 52(2-3), 207-222.
  • Guo, K., Tunnicliffe, D., & Roebuck, H. (2010). Human spontaneous gaze patterns in viewing of faces of different species. Perception, 39(4), 533-542.
  • Hare, B., Brown, M., Williamson, C., & Tomasello, M. (2002). The domestication of social cognition in dogs. Science, 298(5598), 1634-1636.
  • Kaminski, J., & Marshall-Pescini, S. (2014). The social dog: behavior and cognition. Elsevier.
  • Kobayashi, H., & Kohshima, S. (2001). Unique morphology of the human eye and its adaptive meaning: comparative studies on external morphology of the primate eye. Journal of human evolution, 40(5), 419-435.
  • Marshall-Pescini, S., Rao, A., Virányi, Z., & Range, F. (2017). The role of domestication and experience in ‘looking back’towards humans in an unsolvable task. Scientific reports, 7, 46636.
  • Miklósi, Á., Kubinyi, E., Topál, J., Gácsi, M., Virányi, Z., & Csányi, V. (2003). A simple reason for a big difference: wolves do not look back at humans, but dogs do. Current biology, 13(9), 763-766.
  • Segal, N. L., Goetz, A. T., & Maldonado, A. C. (2016). Preferences for visible white sclera in adults, children and autism spectrum disorder children: implications of the cooperative eye hypothesis. Evolution and Human Behavior, 37(1), 35-39.
  • Thalmann, O., Shapiro, B., Cui, P., Schuenemann, V. J., Sawyer, S. K., Greenfield, D. L., ... & Napierala, H. (2013). Complete mitochondrial genomes of ancient canids suggest a European origin of domestic dogs. Science, 342(6160), 871-874.
  • Tomasello, M., Hare, B., Lehmann, H., & Call, J. (2007). Reliance on head versus eyes in the gaze following of great apes and human infants: the cooperative eye hypothesis. Journal of human evolution, 52(3), 314-320.
  • Virányi, Z., Gácsi, M., Kubinyi, E., Topál, J., Belényi, B., Ujfalussy, D., & Miklósi, Á. (2008). Comprehension of human pointing gestures in young human-reared wolves (Canis lupus) and dogs (Canis familiaris). Animal cognition, 11(3), 373.
  • Waller, B., Caeiro, C. C., Peirce, K., Burrows, A., & Kaminski, J. (2013). DogFACS: the dog facial action coding system.
  • Waller, B. M., Peirce, K., Caeiro, C. C., Scheider, L., Burrows, A. M., McCune, S., & Kaminski, J. (2013). Paedomorphic facial expressions give dogs a selective advantage. PLoS one, 8(12), e82686.

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