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Les mystérieuses stats du bonheur - 3. L'influence de nos actes volontaires


Ce billet est le troisième et dernier article d'un dossier sur la formule qui voudrait que 50% du bonheur serait influencé par la génétique, 10% par l'environnement et 40% par les activités que l'on choisi de faire.
Le premier billet se trouve ici.
Le deuxième billet se trouve ici.

Il y a deux semaine, nous avions commencés à poser la question de l'origine de cette fameuse formule du bonheur : 50% d'influence génétique, 40% d'influence des activités volontaires et 10% d'influence environnementale. Tirés de l'ouvrage de Sonja Lyubomirsky, The How of Happiness, (et avant ça de Lyubomirsky, Sheldon & Schkade, 2005) nous avons vu que les 50 et 10% étaient établis en citant deux souces : respectivement, un article de Lykken & Tellegen (1996) étudiant l'héritabilité du bien-être subjectif à partir de jumeau et d'un bout de paragraphe de la revue de la littérature de Diener, Suh, Lucas & Smith (1999) sur les 30 dernières années de recherche sur le bonheur. Conclusion des deux premiers billets : des données sourcées et plutôt en accord avec la recherche universitaire, et des chiffres arrondis pour être plus facilement mémorisables, dans un effort de vulgarisation scientifique.
Cette semaine, nous allons nous attaquer au dernier chiffre, les 40% d'influence qui tiendraient à nos choix d'activité et de pensée. Alors pour les 40%, je vous le dis tout net, y a pas de source. C'est juste de l'arithmétique : 100% - 50% - 10% = 40%.
Ce qui nous intéressera donc ici, ce sera donc moins les études ayant établi que 40% de notre bien-être subjectif est dû à ce que l'on choisi de faire, mais plutôt comment faire pour choisir de faire ce qui est le plus susceptible de rendre heureux. Ça tombe bien, cette dernière partie est l'objectif même du livre de Sonja Lyubomirsky.
J'aimerais établir ici un petit point de distinction. Les choix d'activité et l'environnement pourraient être confondu, les deux constituent le mode de vie. Après tout, je peux plus ou moins décider d'où j'habite ou quel métier faire plus tard. La différence entre circonstance de vie (=environnement) et choix de vie, sont que les circonstance sont ce qui nous arrive (au mieux, notre volonté augmente les chance que quelque chose arrive, mais ne le garantit pas) et les choix d'activités, ce que l'ont décide de faire (et qui est sous notre contrôle direct). De même, les circonstance de vie (= l'autre nom de l'environnement chez Lyubomirsky) sont présentes en continue, là où les activités sont pratiquées de manière ponctuelle.

Certaines activités sont déjà connus par le grand public. On sait par exemple que l'activité physique peut améliorer l'humeur et cette amélioration a pu être observée jusqu'à six mois (Ransford & Palisi, 1996 ; Stewart & al, 1997). De même, Thayer (1989 – Pour info, on doit à Thayer le fondement de la psychologie de l'humeur et son apport à ce concept son similaire à ceux d' Ekman à celui des émotions. C'est « ZE » chercheur sur le phénomène de l'humeur) a montré qu'une marche vive de 10 minutes pouvait rendre de meilleure humeur et faire se sentir plus énergique durant les deux heures suivant ladite marche !
Un travail sur les schémas et les processus de pensée comme celui effectué dans les thérapies cognitivo-comportementales a aussi un effet bénéfique sur le bien-être (Gloaguen & al, 1998). On peut aussi citer la pratique volontaire de certaines qualités comme la gratitude (Emmons & McCullough, 2003), l'espoir (Snyder, Ilardi, Michael & Cheavens, 2000) ou le pardon (McCullough & al, 2000).

Les stratégies proposées par Lyubomirsky sont :

  • les exercices de gratitudes
  • cultiver son optimisme
  • méditer
  • éviter de se comparer aux autres et de ruminer ses problèmes (via la méditation, en se distrayant lorsque cela arrive, en évitant les situations sociales qui déclenche cela...)
  • pratiquer des actes d'altruisme
  • cultiver son cercle social
  • apprendre à utiliser de manière flexible les stratégies de « faire face » fondées sur la résolution de problèmes et sur la régulation de ses émotions.
  • tenir un journal sur ce que l'on ressent
  • utiliser la méthode ABCDE (Adversity : ce qui me pose problème ; Belief : ce que je crois des raisons de ce problème ; Consequences : comment je me sens , vis-à-vis de ces croyances ; Dispute : quelles raison alternative puis-je trouver à ce que j'ai écris dans belief ; Energize : Est-ce-que je me sens mieux avec ce que j'ai écris dans dispute?). Note : normalement, si ce que j'ai écris est suffisamment clair, vous aurez compris qu'il s'agit d'un exercice méthodique qui consiste à questionner nos croyances, surtout les plus pessimistes et à les remplacer par des croyances plus réalistes. En thérapie cognitivo-comportementale, ce type de travail sur les pensées et les croyances s'appelle une restructuration cognitive.
  • apprendre à pardonner. Note : Ici le pardon se définit simplement par le fait d'abandonner la volonté de se venger ou d'éviter la personne, ni plus ni moins. Cela se rapproche assez de la notion d'acceptation en méditation de pleine conscience.
  • favoriser l'expérience du flow (=état mental de concentration intense faisant perdre la notion du temps qui serait favoriser lorsque l'activité effectuée nous pousse à utiliser toute notre compétence, c'est-à-dire représente un défi sans excéder notre capacité de réussite).
  • savourer l'instant présent
  • donner du sens à ses actes/activités
  • pratiquer une religion ou une spiritualité
  • pratiquer un sport
  • agir comme une personne heureuse (note : Lyubomirsky fait référence à l'hypothèse de la rétroaction faciale (Strack, Martin, and Stepper, 1988). Former une expression faciale émotionnelle – comme un sourire – activerait les réseaux neuronaux de la formation de l'expression, mais aussi par extension ceux associé à l'émotion provoquant ladite expression. Cette hypothèse est controversée, et si des efforts de réplications d'études semblent plutôt en défaveur de celle-ci, on en considère pas que les résultats soient définitif et l'on reste ouvert au fait que d'autres réplications encore plus rigoureuses pourrait mettre au jour des résultats concluant. Pour ceux qui se demanderaient pourquoi Lyubomirsky conseille cette technique alors que cette hypothèse est remise en cause, n’oublions pas que l'ouvrage date de 2013, et la réplications de ces expériences n'ont commencées qu'en 2016 (Wagenmakers et al., 2016) soit trois ans plus tard. Lyubomirsky n'avait pas lieu de les remettre en doute. Pour en savoir plus sur cette histoire de réplication, vus pouvez aussi allez voir ici (anglais).

Parmi les éléments ci-dessus, il s'agit soit de développer des compétences générales (apprendre à pardonner) soit d'activité précises (la méthode ABCDE), mais ça vous donne une idée de la multiplicité des stratégies et des possibilités pour améliorer son bien-être.
On pourrait presque croire que tous les moyens sont bon, mais en réalité, les différentes stratégies partagent des caractéristiques communes. Lyubomirsky décrira en 5 points ce qui permet à une stratégie de favoriser non pas un simple plaisir ponctuel, mais un niveau de bonheur plus haut et ce de manière durable :
    1. Cela doit venir de soi. D'où l'idée d'activités et non de possessions. Les activités peuvent être renouvelées mais on ne s'achètera pas une voiture à chaque fois que l'on veut améliorer son humeur. Cela permet aussi d'avoir un meilleur contrôle sur notre niveau de bien-être.
    2. Choisir un bon timing et favoriser la variété. Comme nous le verrons plus tard, cela évite l'ennui, permet d'adapter ce que l'on fait à notre mode de vie et aussi d'éviter l'adaptation hédonique. Cela peut même consister a constituer une liste de stratégies, puis à en garder certaines pour des moments spécifiques (méditer spécifiquement avant un type de rendez-vous professionnel par ex.)
    3. Le soutien de vos proche dans votre projet d'être plus heureux. Que ce soit en pratiquant avec eux ces stratégies, ou simplement en étant encouragé par eux.
    4. De la motivation, des efforts et de l'engagement. Sous-entendu, ne traitez pas ce projet par-dessus la jambe. Au contraire, prenez le au sérieux, autant que vous le feriez pour n'importe quel choix de santé, aussi sérieusement que le fait d'arrêter de fumer pour certaines autres personnes.
    5. En faire une habitude. A la fin, il s'agit bien de former de nouvelles habitudes de vie, on pourrait même dire un nouveau mode de vie qui nous soit le plus naturel possible.

Ce qui nous amène à cette question : pourquoi atteindre un but ne nous satisfait pas toujours ?

La correspondance personne-activité :

Proposition intuitive : le choix d'une activité aura d'autant plus de chance d'avoir un effet sur votre bien-être qu'il correspond à votre personnalité, à vos valeurs, à votre style de vie.
Pourtant tout intuitif que c'est, cela pourrait s'avérer faux. Par exemple, si quelqu'un ressent une préférence pour utiliser une modalité sensorielle dans son apprentissage (visuel, auditif, kinesthésique, si ça vous fait penser à la Programmation Neuro-Linguistique c'est parfaitement normal, ils l'ont repris) il est assez intuitif de se dire qu'il serait plus efficace pour lui d'apprendre selon ses préférences. Par exemple, quelqu'un qui se dit auditif aurait plutôt intérêt à apprendre en écoutant qu'en lisant. Et pourtant rien ne valide cette hypothèse, au contraire, les préférences des sujets ne prédit absolument rien de leur performances en terme d'apprentissage dans les différentes modalités (Rogowsky, Calhoun & Tallal, 2015 ; Husmann & O'Loughlin, 2018). Pour ceux que ça intéresse, il semble que pour un simple test de rappel, la présentation d'image soit plus efficace que les sujets se disent auditifs ou visuels (Constantinidou & Baker, 2002) et que le top du top soit d'apprendre un même sujet avec différentes modalités sensorielles (Coffield, Moseley, Hall & Ecclestone, 2004). Mais revenons en à nos moutons. La préférence pour un type d'activité pourrait ne rien dire de notre capacité à en tirer du bien-être. Mais pour cette fois-ci, l'intuition voit juste, il s'avère que la correspondance personne-activité module bien le gain en bien-être que l'on peut tirer d'une activité (Brunstein & al, 1998 ; Diener& Fujita, 1995 ; Sheldon & Elliot, 1999 ; Sheldon & Kasser, 1998).
Les études longitudinales de de Sheldon & Elliott (1998, 1999), Sheldon & Kasser (1995, 1998) montrent que l'augmentation du bien-être est plus probable lorsque le but que l'on s'est fixé concorde avec soi (ses valeurs et ses goûts). Par exemple : vous voulez vous mettre au sport pour entretenir votre cœur parce que vous êtes jeune, mais que la jeunesse ça finit par partir, avec tout les soucis de santé associés. Problème : courir, faire de la musculation, du pilate, ça vous attire pas, vous n'aimez pas particulièrement faire des efforts importants. En revanche vous êtes passionné par le Brésil. Il est possible que faire de la capoeira soit une solution satisfaisante. En effet, les efforts à fournir sont important (donc ça joue en votre défaveurs) mais c'est une porte d'entrée vers la culture brésilienne, c'est moins monotone qu'une séance classique de sport et peut-être que l'aspect plus artistique vous séduira (ce qui jouera en votre faveur).
Les différentes stratégies de bien-être devront donc-être choisies en fonction de votre approche. On peut travailler sur les faiblesses. Si quelque chose me rend malheureux, quel activité peut y remédier. On peut travailler sur nos forces : exploiter un talent, choisir une activité qui est compatible avec notre personnalité (faire des compétition lorsque l'on aime accomplir des défis, faire des activité stimulantes et sociales lorsque l'on est extraverti et sociable).
Enfin, les activité doivent-être adapté à votre style de vie. Difficile de sortir en boîte de nuit si vous travaillez de nuit 6 jours sur 7. De la même manière, si vous n'avez pas beaucoup de temps de par votre profession, une activité qui en demande ne sera pas adaptées. Une solution sera d'aborder le travail d'une manière qui soit stimulante (en se donnant des objectifs, en essayant d'adopter une attitude de pleine conscience, en essayent de maîtriser une compétence liée à son job...)
Enfin, un autre aspect pourra en rebuter certains : c'est la naïveté apparente de certaines pratiques. Par exemple, écrire une lettre de gratitude une fois par semaine. On ne peut s’empêcher d'y voir un côté bisounours, ou il faudrait absolument exprimer ses bons sentiments, être positif. Et en réalité, c'est très bien comme ça, entre toute les stratégies possible, vos pouvez en choisir qui ne vous donne pas l'impression de transformer en guimauve. Cependant, il faut bien comprendre que les exercices portant sur l'évocation d'émotions positives (exercice de gratitude, compassion, etc) ne consistent pas en un déni de réalité, ce sont des exercices ou il s'agit de travailler, de manière très sérieuse, la capacité à évoquer et à ressentir ces émotions dans des situations adaptées à celle-ci. Est-ce vraiment naïf de chercher à ressentir de la gratitude pour avoir éviter la pluie pendant que l'on se déplaçait ? Après tout, être sous la pluie quand on marche jusqu'à chez soi ou jusqu'à son travail pourrait évoquer de l’énervement. En quoi éprouver des émotion positive lorsque l'on évite un problème ou que l'on profite d'un opportunité serait plus naïf qu'éprouver des émotions négatives lorsqu'il nous arrive un désagrément ? Il convient d’enterrer un mythe : la psychologie positive et la pensée positive, ce n'est pas la même chose ! La pensée positive consiste essayer de toujours voir le bon côté des choses en dépit des malheurs, et dans le pire des cas en niant le malheur. La psychologie positive consiste en des stratégies favorisant les bien-être et passe par la juste perception du malheur, pas sa négation. On ne fait pas de bonne intervention en psychologie positive sans partir de la situation réelle. Ce mythe est tellement présent que je l'ai vu mentionné dans une conférence sur la méditation de pleine-conscience et dans des interviews d'une sociologue du nom d'Eva Illouz dont une dont j'ai parlé ici.
Il y a un aspect que j'adore dans la conception de l'intervention en psychologie positive de Lyubomirsky. Un aspect qui devrait réellement être standardisé dans le coaching et le développement personnel. Non pas que ce soit ignoré, lorsque l'on voit le nombre de coach insistant sur le fait qu'il faut adopter une « position basse » (= ne pas venir en mode « je vais t'apprendre la vie coco ») et que la solution doit venir du client. Mais ce n'est pas standardisé. On commence un travail avec le client, il cherche une solution dont il ressent vaguement (dés fois plus que vaguement, heureusement!) que ça lui conviendra, un peu au pif. Alors qu'à l'inverse, un questionnaire permettrait de faciliter le travail du coaché, un questionnaire de correspondance personne-activité. Cela tombe bien, dans son ouvrage, Lyubomirsky en propose un. Cela tombe mal il est en anglais. Mais dans un article annexe, je vous en proposerai une traduction personnelle (celui-ci n'ayant pas fait – à ma connaissance - l'objet de validation français, bien qu'une traduction succincte des échelles et de la méthode de cotation apparaisse dans l'ouvrage de Mikolajczak, Quoidbach, Kotsou & Nelis (2014) nommé Les compétences émotionnelles).
Cette correspondance Personne-Activité, si elle est positive, sera bénéfique pour l'initiation mais aussi le maintient d'une nouvelle activité. Attention cependant à ne pas trop se focaliser sur le plaisir immédiat. Certaines activités ou certains projets peuvent être frustrant à court terme, mais participer au progrès ou à l'accès à des opportunités qui participeront d'un meilleur bien-être à long-terme. On ne peut pas repousser infiniment les plaisirs immédiats pour un bien-être à long terme qui n'arrivera jamais, mais à toujours courir après des plaisirs immédiats, on risque de laisser des opportunités que nous regretteront plus tard. On peut penser à des cas de figures comme la passation d'examens, l'apprentissage de sujet qui nous intéresse peu (comme les statistiques pour quelqu'un qui voudrait faire de la recherche en sciences humaines). La balance plaisir immédiat-activité contraignante mais bénéfique pour le long-terme est difficile à mettre en équilibre, ce qui pourrait être le sujet d'un article à lui tout seul. En attendant, je vous renvoi vers cet excellent ouvrage du chercheur DeSteno, Emotional Success : The Power of Gratitude, Compassion, and Pride. La solution de Lyubomirsky, Sheldon & Sckalde (2005) serait de trouver un sens à l'activité désagréable, quelque chose qui lui donne de la valeurs ou qui la rendent cohérente avec des valeurs importantes pour soi (éthique de travail, participer à la société, etc...).
Sans surprise, atteindre un but que l'on s'est fixé est générateur de bien-être. Ce qui implique que savoir comment se créer des buts personnels atteignables serait une voie pour augmenter son bien-être. Par exemple, dans des études sur ce sujet, on demande à des étudiants de générer un but personnel durant un semestre, on compare le niveau de progression de chacun et l'on regarde les corrélations avec le bien-être rapporté. Sans surprise, mieux on réussit, plus l'effet est bénéfique (pour revue des études sur cet aspect, voir Sheldon, 2002). Bien choisir ses buts, en fonction de ses valeurs et de sa personnalité est donc un moyen légitime d'augmenter notre niveau de bonheur.

Le problème de l'adaptation hédonique :

Un autre point que l'on pourrait soulever est le suivant : si l'on s'adapte à son environnement, de sorte que son impact sur le niveau de bien-être est faible, pourquoi ce ne serait pas le cas pour les activités intentionnelles ? Lyubomirsky, Sheldon & Schkade (2005) répondent à cette question.
Premièrement, une activité intentionnelle est ponctuelle. L'environnement quant à lui est subit de manière continu. L'adaptation hédonique sera donc généré plus facilement par les circonstances de vie. Quand aux activités, il est possible de jouer sur la fréquence de ces activités afin d'éviter la routine. Par exemple, il existe un exercice qui consiste à trouver trois choses pour lesquelles on ressent de la gratitude, à y repenser et à tenir un journal à ce propos. Ce peut être un service, un cadeau, ou simplement un coup de chance que l'on à eu. Cependant Emmons dans son ouvrage Thanks!: How the new science of gratitude can make you happier (2007) recommande de tenir ce journal de gratitude environ deux fois par semaine, et non pas tous le jours afin d'éviter un phénomène qu'il nomme la « fatigue de la gratitude ». Fait trop fréquemment, cet exercice perd ses effets bénéfique, on s'adapte). Emmons & McCullough (2003) quant à eux ont testé un intervention de 6 semaines, pendant lesquelles un groupe devait porter attention sur ce pourquoi ils ressentait de la gratitude une fois par semaine, tandis qu'un autre groupe pratiquait la même chose trois fois par semaine. Les effets bénéfiques de l'exercice de gratitude montrait ses effets bénéfiques uniquement dans le groupe qui le pratiquait une fois par semaine, ce qui indique que le faire plus de deux fois par semaine pourrait déjà être contre-productif ! Ainsi il est conseillé de prendre conscience de la « période réfractaire », c'est à dire le temps qui passe avant de recommencer une activité et de comment on se sent, afin d'ajuster la fréquence de celle-ci de sorte à éviter de s'en lasser (Kalat, 2001).
Deuxièmement, introduire de la variété. Varier les exercices d'une séance de sport à l'autre, varier les domaines pour lesquelles on voudrait exprimer notre gratitude.
Troisièmement, travailler sa pleine conscience. L'effet d'habituation nous pousse à être moins attentif à ce à quoi nous sommes habitués. Adopter une attitude de pleine conscience, c'est-à-dire porter volontairement notre attention sur l'activité peut-être bénéfique pour combattre ce manque d'attention. Pratiquer la méditation de pleine conscience est un moyen de développer la capacité à porter attention à quelque chose, et de développer une facette de celle-ci qui est appelée « savoring » (et qui n'a pas d’équivalent étymologique). Cette capacité à « savourer l'instant présent » est une stratégie possible contre l'habituation.
Concernant les circonstances de vie, un possibilité serait d'en devenir acteur, c'est-à-dire de pratiquer des activités intentionnelles portant sur celle-ci. Être marier peut finir en arrière-plan, devenant ce contexte environnementale dont le peu d'impact est tant souligné par la recherche. Mais avoir pour but personnel de faire des choses afin de maintenir intentionnellement une certaine satisfaction dans le couple (par ex. établir un rythme de sortie en amoureux, essayer de travailler sur la manière de communiquer, planifier des projets en commun comme la découverte d'un endroit ou d'un restaurant...) est une solution envisageable afin de tirer un bien-être plus durable de ce même mariage.
Une autre question qui leur tenait à cœur était de savoir si prendre l'habitude de faire certaines activités rendraient leur accomplissement trop automatique et inconscient et faciliterait l'adaptation hédonique. Leur réponse est qu'il faut distinguer l'habitude d'initier régulièrement une activité et l'habitude de l'effectuer toujours de la même manière. On peut avoir l'habitude de faire du kendo tout les mercredi après-midi, cela ne signifie pas que chaque séance de kendo doivent-être identique, ni que cela empêche de porter attention à notre pratique (ce qui rejoint l'importance de l'utilisation de la pleine conscience).
Concernant l'efficacité des activités, il y a des notions de doses et de timing. On a vu qu'en moyenne, tenir un journal de la gratitude plus de deux fois par semaine provoquait une forme de fatigue chez les sujets (bien que certains puissent se permettre de le faire plus, et d'autre doivent absolument le faire moins souvent). Pour les actes de gentillesse, ceux-ci auront bien plus de chance de marcher si plusieurs sont faits dans la même journée. Dans l'étude citée (une thèse suivie par Lyubomirsky), il s'agissait de 5 actes d'altruisme en une journée, une fois par semaine (Tkach, 2005). Cela était dû en partie au fait qu'il s'agissait de petits actes altruistes. Pour éviter l'adaptation hédonique, il sera utile de varier le type d'acte, d'une semaine à l'autre.
La difficulté sera une notion à prendre en compte pour certains type d'exercice, notamment les exercices concernant le pardon. Définit comme le fait d'abandonner toute volonté de se venger, qu'il arrive du mal, ou d'éviter quelqu'un qui nous a blessé, sa difficulté d'application dépend en partie du mal que l'on pense avoir subi. Dans un exercice ou l'on exprime son désir de pardonner une personne, si on n'arrive pas à le faire pour quelqu'un, il sera judicieux de mettre ce que l'on écrit de côté, et de retenter quelques jours ou semaines plus tard ce même exercie en pensant à un acte qui nous a fait moins de mal. Voyez cette capacité de pardon comme un muscle : tout le monde ne commence pas avec le même potentiel, et il sera parfois nécessaire d'essayer des charges moins lourdes (pardonner des actes qui nous paraissent moins grave) avant d'attaquer plus dur.

Conclusion :

Le fromage tripartite du bonheur (au cas où ça ne se verrait pas, j'adore cette appellation) comme nous pouvons le constater, est une construction. Celle-ci ne ce fonde pas sur rien, nous l'avons vu, des études sont citées. Mais il s'agit bien pour Lyubomirsky de faire de la vulgarisation scientifique, donc de simplifier les chiffres. C'est ainsi qu'une fourchette de 44 à 52% pour la part d'influence génétique se transforme en un 50% bien rond et bien tassé. Mais il ne faut pas oublier qu'il ne s'agit pas de n'importe quel type de vulgarisation scientifique, il s'agit de science appliquée. Le but de Lyubomirsky c'est de proposer des manières d'améliorer notre bien-être au quotidien. Elle à un message à faire passer, elle doit donner de l'espoir, car sans cet espoir, le lecteur se dirait simplement que ce qui est proposé dans ce livre ne peut rien pour lui. Or, pour éviter cela, il est nécessaire que le lecteur ne surestime pas les déterminismes génétiques, qu'il ait l'impression d'avoir un certain contrôle sur son bien-être. Et là j'en reviens aux références servant étayer le fait que le bien-être subjectif soit dû à 50% à la génétique. Dans un autre article (Diener, Suh, Lucas & Smith, 1999) que Lyubomirsky cite cette fois-ci pour appuyer le fait que l'environnement soit responsable de 10% de la variance du bien-être subjectif, il est dit que les études sur l'héritabilité donnent souvent des pourcentages moins haut que ceux de Lykken & Tellegen. Ce qui irait plutôt dans le sens de moins de déterminisme génétique, et possiblement de plus de contrôle possible sur notre propre bien-être possible. Mais les auteurs disent aussi que déterminer la part d'influence génétique sur le bien-être subjectif est complexe pour cette simple raison : même nos actes, nos choix de vie sont en partie influencés par la génétique via les traits de personnalité par exemple. Dit autrement, une fois la part génétique enlevée, vous prenez votre pourcentage qui correspond à vos choix de vie et d'activité, et vous en coupez un pourcentage qui n'est pas entièrement dû à votre pur volonté, mais à des influences génétiques indirectes. Quel pourcentage ? Mystère, car cela s'avère extrêmement difficile à mesurer. Et là, pour sentir le poids du déterminisme génétique, y a pas mieux.
Cependant, l'inverse est vrai aussi. L'épigénétique par exemple étudie comment les mêmes gènes peuvent se traduire en phénotypes différents (= la manière dont les gènes s'expriment dans la morphologie et le fonctionnement d'un organisme). Un même gène peut augmenter la tendance à l'anxiété ou avoir une influence limité sur l'anxiété, selon que l'environnement au sens large (ce qui inclut les activité volontaires) déclenche son expression ou non. Bien entendu, ces changements ont des limites. On retiendra tout de même que des estimations pures de ce que l'on doit réellement aux facteurs génétiques, environnementaux et aux activités intentionnelles ne sont pas possible, et que l'on aura au mieux, une bonne approximation.
Si certains se plongent dans l'article de Lyubomirsky, Sheldon & Schkade (2005), ils pourront noter que je n'ai pas été exhaustifs. Mon but était de retracer l'origine des chiffres données par Lyubomirsky et de vérifier s'ils étaient justifier par la recherche. Sur cet unique point, il me semble avoir atteint mon but. Mais ce qu'il faut bien comprendre, c'est que ces chiffres ne sont pas fondés uniquement sur des estimations de part génétiques et autres, mais aussi sur une logique observable à partir d'autres données comme l'adaptation hédonique ou le fait que le tempérament d'un enfant puisse prédire sa capacité de sociabilisation, qui sont autant d'indices indirectes confirmant que les estimations de cette formules sont proches de la réalité. Dans ce mini-dossier, le but était de vérifier la validité de ces chiffres, mais non de visiter l'ensemble des preuves empiriques allant dans le sens de cette formule.
Mais Lyubomirsky en est convaincu, nous avons une marge de manœuvre conséquente sur notre niveau de bonheur. Elle en est tellement convaincu qu'elle dit page 24 (sur mon édition) :

Pursuing happiness takes work, but consider that this ''happiness work'' may be the most rewarding work you'll ever do

Pour les non anglophones : « Poursuivre le bonheur demande du travail, mais considérez le fait que ce « travail du bonheur » peut-être le travail le plus gratifiant que vous aurez jamais fait »

Vous aurez remarquer que parfois, j'utilisais alternativement les termes bien-être subjectif et bonheur. Dans la littérature scientifique, on préfère généralement le terme de bien-être subjectif qui est plus neutre et n'a pas un passif conceptuel aussi étoffé que le terme bonheur. Cependant, dans son ouvrage, Lyubomirsky utilise les deux termes de manière interchangeable, ce que je me suis permis aussi. Dans leur article, Lyubomirsky, Sheldon & Schkade (2005) s'explique à ce sujet : le bonheur fait sens à partir de ce que ressent le sujet. Si cela rend la mesure du bonheur subjective (dans le sens ou on ne mesure pas un indicateur vérifiable comme le taux d'hormone) cela n'empêche pas d'étudier objectivement les conditions qui font varier statistiquement ce que rapportent les sujets à propos de leur bien-être. Enfin, cela reste pertinent au niveau de ceux qui voudraient augmenter leur niveau de bonheur, en effet, la recherche du bonheur traduit en fait la volonté de se sentir mieux, est c'est exactement ce dont parle Lyubomirsky.

Ce dossier se clos ici-même. J'essayerai de poster sous peu une traduction du questionnaire de correspondance personne-activité, si je la trouve validée dans un article, ou que j'aurai traduit moi-même. Si d'autres aspects traités vous intéressent et que vous voudriez que ceux-ci soient traités sous peu, n'hésitez pas à le faire savoir.

Références :

  • Brunstein, J. C., Schultheiss, O. C., & Grassman, R. (1998). Personal goals and emotional well-being: The moderating role of motive dispositions. Journal of Personality and Social Psychology, 75, 494–508.
  • Coffield, F., Moseley, D., Hall, E., & Ecclestone, K. (2004). Learning styles and pedagogy in post-16 learning: A systematic and critical review. Consulté à : https://www.voced.edu.au/content/ngv%3A13692
  • Constantinidou, F., & Baker, S. (2002). Stimulus modality and verbal learning performance in normal aging. Brain and language, 82(3), 296-311.
  • DeSteno, D. (2018). Emotional Success: The Power of Gratitude, Compassion, and Pride. Houghton Mifflin Harcourt.
  • Diener, E., & Fujita, F. (1995). Resources, personal strivings, and subjective well-being: A nomothetic and idiographic approach. Journal of Personality and Social Psychology, 68, 926–935.
  • Diener, E., Suh, E. M., Lucas, R. E., & Smith, H. L. (1999). Subjective well-being: Three decades of progress. Psychological Bulletin, 125, 276–302
  • Emmons, R. A. (2007). Thanks!: How the new science of gratitude can make you happier. Houghton Mifflin Harcourt.
  • Emmons, R. A., & McCullough, M. E. (2003). Counting blessings versus burdens: An experimental investigation of gratitude and subjective wellbeing in daily life. Journal of Personality and Social Psychology, 84, 377–389
  • Gloaguen, V., Cottraux, J., Cucherat, M., & Blackburn, I. (1998). A meta-analysis of the effects of cognitive therapy in depressed patients. Journal of Affective Disorders, 49, 59–72
  • Husmann, P. R., & O'Loughlin, V. D. (2019). Another nail in the coffin for learning styles? Disparities among undergraduate anatomy students’ study strategies, class performance, and reported VARK learning styles. Anatomical sciences education, 12(1), 6-19.
  • Kalat, J. W. (2001). Biological psychology (7th ed.). Belmont, CA: Wadsworth
  • Lykken, D., & Tellegen, A. (1996). Happiness is a stochastic phenomenon. Psychological Science, 7, 186–189.
  • Lyubomirsky, S. (2008). The how of happiness: A scientific approach to getting the life you want. Penguin.
  • Lyubomirsky, S., Sheldon, K. M., & Schkade, D. (2005). Pursuing happiness: The architecture of sustainable change. Review of general psychology, 9(2), 111-131.
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  • Mikolajczak, M., Quoidbach, J., Kotsou, I., & Nelis, D. (2014). Les compétences émotionnelles. Dunod.
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